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LES BRAVES GENS.

toujours prudent et discret. Une fois cependant, après une longue convention sur la musique allemande et sur la philosophie en général, il s’oublia au point de boire à même la bouteille de champagne. Ses compagnons, aussi émus que lui, ne virent là qu’une aimable plaisanterie. Ce soir-là sans doute il était mal disposé, car ses beaux yeux d’ange louchaient horriblement ; son nez s’abaissait sur sa moustache blonde qui se hérissait. Il avait un faux air d’oiseau de proie, et il fut peu gracieux pour ses compagnons.

« Romains de la décadence, leur dit-il en bégayant, vous me faites pitié. Lequel de vous connaît Henri Heine, qui a osé médire de la grande race germanique ? Faites-le-moi passer, que je le perce du glaive d’Arminius et que je lui coupe les oreilles. »

Les garçons eurent toutes les peines du monde à l’empêcher d’enjamber la fenêtre pour se mettre à la poursuite de Henri Heine. Pour le ramener chez lui, on fut obligé de lui dire que le Monsieur en question l’y attendait, et qu’il était arrivé par la voiture du soir, exprès pour se faire percer du glaive d’Arminius et se faire couper les oreilles.

Le lendemain matin, quand il se trouva au réveil tout habillé sur son lit, il eut comme un soupçon de ce qui s’était passé, et craignit fort de s’être compromis par quelque parole imprudente. Quand il sut qu’un garçon discret l’avait ramené sans scandale et que tous ses compagnons étaient, ce soir-là, hors d’état de le comprendre, il recouvra toute sa sérénité.