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LES BRAVES GENS.

À chaque ordre nouveau qui lui enjoint de partir, elle obéit sans répugnance : le pauvre, en effet, n’est-il pas partout l’image de Jésus-Christ ? La douleur et la souffrance ne sont-elles pas partout les mêmes, et n’ont-elles pas besoin des mômes secours et des mêmes consolations ? Ne trouvera-t-elle pas partout, par conséquent, à exercer cette charité tendre et infinie qui a sa racine dans un attrait mystérieux pour la souffrance et pour la douleur. L’humble sœur serait bien surprise des jugements que l’on porte sur elle ; peut-être serait-elle un peu choquée de la forme trop familière de ces jugements. Les bonnes gens qu’elle a aidés à sortir de leur abattement et de leur désespoir n’ont pas la moindre idée, ni le moindre souci d’une phrase bien tournée ; ce qui ne les empêche pas d’avoir le cœur reconnaissant. Mais ni son humilité ni sa délicatesse n’ont jamais eu à souffrir. Personne n’a jamais osé dire en sa présence tout ce qu’il pense d’elle. Elle a une manière charmante et irrésistible de dire chut ! au moment où elle voit poindre un témoignage d’admiration.

D’ailleurs elle a beaucoup de gaieté et d’entrain : si le chut ! ne suffit pas, elle trouve de ces mots qui déconcertent sans blesser, et qui enseignent la délicatesse et la réserve à ceux qui n’en avaient jamais eu la moindre idée.

Les malades de l’hôpital, autour du poêle ou d’un lit à un autre, se chuchotent leurs remarques sur la sœur Agnès quand elle n’est pas là. Pour eux tous, c’est à n’en pas douter une fille de grande maison ; les plus exaltés veulent que ce soit une princesse. Tous sentent bien que ce n’est pas une de ces âmes qui se jettent dans les bras de Dieu parce que le monde les a méconnues ou froissées. Tout le monde se tait ou change de conversation lorsqu’elle s’avance de son pas modeste et assuré (le pas de sa mère), pendant que les pans de sa grande coiffe blanche battent doucement, comme des ailes, de chaque côté de son charmant visage. Son sourire fin et modeste est comme un rayon de soleil printanier dans les tristes salles de l’hôpital. Les plus vieux mécréants, ceux qui se font un méchant plaisir de déconcerter « le curé », c’est-à-dire l’aumônier, cessent à son approche leurs grognements et leurs imprécations.

Ces esprits forts, qui ne croient à rien et qui s’en vantent, ont un peu honte de se laisser si facilement dompter par elle, et ils s’excusent comme ils peuvent à leurs propres yeux, en prétendant qu’elle doit être sorcière.

Les lettres de Marthe à sa mère sont pleines d’un contentement