Page:Les Braves Gens.djvu/226

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
LES BRAVES GENS.

admire quelquefois indiscrètement et en bloc. Bien des héros de cette Rome, si grande d’ailleurs, n’ont été, au dire de gens bien avisés, que de sombres fanatiques. Le petit écolier qui admire sur la foi du professeur, épuise, dès les premiers pas, sa petite provision d’admiration. Il se met dans l’idée qu’on l’attrape ; que les professeurs admirent parce qu’ils sont payés pour admirer, comme ils punissent parce qu’ils sont payés pour punir. Sa défiance s’accroît avec l’âge, et augmente avec la crainte de paraître naïf. Si un camarade, dans une pièce de vers ou un discours français, a développé quelqu’une de ces idées généreuses dont toute âme bien née est naturellement éprise, l’écolier sceptique l’appelle chauvin ou déclamateur. Pendant que le professeur lit tout haut le devoir de son camarade, l’autre fait le geste d’applaudir ironiquement, ou celui de frapper sur une grosse caisse imaginaire ; ou bien il ferme un œil et gonfle sa joue avec la pointe de sa langue, en regardant son voisin. Le respect humain est si grand, chez les enfants comme chez les hommes, que le voisin répond par un clignement d’œil, tandis que l’auteur du discours ou de la pièce de vers rougit de confusion, et se promet intérieurement de ne plus prêter à rire. Jean n’a pas de ces scrupules.

Et voilà pourquoi les discours de Jean valent mieux que ceux de Robillard.

M. Nay est parti pour l’Espagne, escorté de Thorillon. Ce dernier s’est ménagé de nouveaux correspondants. Cependant il trouve qu’il ne reçoit pas assez de lettres, et s’en prend à la poste espagnole. D’autres fois, il se figure que le gouvernement espagnol, pour satisfaire une vaine curiosité, détient injustement quelques-unes des lettres qui lui sont destinées.

Rue du Heaume, Jean continue à travailler, M. Defert à tisser, Mme Nay à s’occuper de son bébé, et Mme Defert à s’occuper de tout le monde. Les grands événements, dans cette maison paisible, sont les lettres de M. Nay et celles de Marthe.

« Nouvelles d’Espagne ! » crie Marguerite quand elle a reçu une de ces bienheureuses lettres. Elle commence par s’enfermer dans sa chambre pour la lire à elle seule ; puis on en fait ensuite la lecture en famille. Terrassements et nivellements, remblais et tunnels, sont par eux-mêmes des termes techniques qui parlent peu à l’imagination. Mais quand ces termes nous rappellent les efforts et les succès d’un homme distingué qui est en même temps un aussi brave homme que M. Nay, alors, terrassements et nivellements, remblais et tunnels