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LES BRAVES GENS.

monde est soldat. Ne craignez-vous pas d’être rappelé subitement, et de laisser les livres à l’abandon ?

— Oh ! répondit M. Schirmer en rougissant, on obtient des autorisations pour demeurer en pays étranger, et j’en ai une. »

Pendant les quatre années qui suivirent, les seuls souvenirs qui aient laissé trace dans la mémoire de tout Châtillon, ce furent les conférences de l’abbé Plâtre sur l’indifférence, et la création d’un champ de courses.

Chacun, d’ailleurs, a continué de s’avancer dans sa voie (j’entends, ceux qui marchent), car il y a des gens que le temps écoulé a tout simplement rendus plus vieux de quatre ans.

Robillard, bachelier ès lettres et bachelier ès sciences, a commencé ses études médicales. Il écrit très-souvent à Jean. Quelquefois c’est simplement pour le plaisir de lui écrire ; d’autres fois c’est pour lui donner des nouvelles de Paris, et il le tient fort au courant. Jean s’est mis à la fabrication, de tout son cœur ; il dit à Robillard que c’est une occupation bien plus intéressante qu’il ne l’imaginait. L’aspirant n°l aux professions libérales est devenu un candidat sérieux à l’École polytechnique. L’aspirant n°2 songe à l’École normale ; c’est l’esprit littéraire de la famille. L’ancien bébé, devenu aspirant n°3, est camarade de classe d’Edmond Nay, chez M. Sombrette.

L’oncle Jean ne fait plus que de très-courtes promenades au soleil. « Les jambes n’y sont plus, » dit-il. — Mais, par exemple, le cœur y est toujours ; malgré ses infirmités, il déclare à qui veut l’entendre que la vie est une bonne chose. Mme Defert semble aussi trouver que la vie est bonne, et tous ceux qui l’entourent ont toutes sortes de raisons de la trouver bonne aussi. Mme Nay est dans l’orgueil du triomphe le plus légitime. Voilà M. Nay devenu célèbre ; sa femme est bien fière de s’appeler Mme Nay, et quand le petit garçon a des velléités de paresse ou d’insubordination, elle sait fort bien lui dire que l’on n’a pas le droit de se conduire ainsi quand on s’appelle Edmond Nay. M. Sombrette a fini par grouper toutes ses sœurs autour de lui, et il a trouvé de l’emploi pour toutes. Les aînés des Loret continuent à se promener le dimanche avec la famille, quoique ce ne soit plus guère la mode depuis que la jeunesse s’est émancipée, et qu’elle a conquis une noble indépendance. M. Aubry n’a plus du tout entendu parler de sa goutte.

Les anciens amis de Jean sont de jeunes messieurs très-bien mis et parfaitement insipides. Les parents se demandent avec inquié-