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Page:Les Braves Gens.djvu/238

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LES BRAVES GENS.

Le dîner fut assez gai ; Jean était charmant, et portait très-bien son humble uniforme de fantassin. Il était plein d’entrain et d’espoir. Comme il avait les cheveux coupés ras, il paraissait encore plus jeune qu’il ne l’était réellement. Justine ne pouvait se lasser de le regarder toutes les fois que son service l’appelait à la salle à manger. Quand elle retournait à la cuisine, elle répétait ses moindres paroles à quelques commères qui étaient venues aux nouvelles. « Ah ! s’il y en a beaucoup comme ça, disait la bonne créature, nous nous tirerons d’affaire, bien sûr : le capitaine vient de le dire.

— Les braves gens seront toujours les braves gens, dit une bonne grosse mère assise sous le manteau de la grande cheminée ; on les retrouvera toujours. Voyez les Loret. Trois d’un coup. Ah ! mon Dieu, Seigneur ! Et madame, qu’est-ce qu’elle dit ?

— Elle le mange des yeux et elle fait semblant d’être gaie aussi. Mais nous connaissons ça. Quand il sera parti, elle s’enfermera pour pleurer. Monsieur est tout chose et ne mange que du bout des dents. Le capitaine ne se connaît pas de joie. »

Si la bonne Justine ne parlait pas de Marguerite, c’est qu’elle avait rejoint depuis longtemps son mari à Brest, où il avait des travaux importants.

À un autre voyage, Justine raconta que M. Jean trouvait l’ordinaire de la maison supérieur à celui du régiment. Il avait demandé deux fois d’un certain plat qu’elle avait soigné à son intention.

« Ce n’est pas qu’il soit porté sur sa bouche, dit Justine ; car il dit que la cuisine du soldat est bonne, et qu’il s’en arrange bien. Figurez-vous, ma chère, qu’ils font la cuisine chacun leur tour, et qu’il a appris lui aussi à la faire.

— Pas possible !

— Il dit que la première fois il n’a pas trop bien réussi ; mais que maintenant il s’y entend, et qu’il a une réputation de cuisinier parmi ses camarades. C’est un vrai soldat, qu’est-ce qui aurait dit cela ? »

Au moment du départ, Mme Defert embrassa son fils presque sans pleurer. Quand il fut parti, elle s’enferma dans sa chambre et ne se contraignit plus. Elle songeait à tout ce qu’il avait dit, et chacune de ses paroles de tendresse lui perçait le cœur comme un glaive. Puis elle était possédée d’images douces et tristes qu’elle ne cherchait même plus à écarter. Elle avait tressailli en le voyant en uniforme ; il lui semblait ainsi plus particulièrement marqué pour le danger,