Page:Les Braves Gens.djvu/24

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
12
LES BRAVES GENS.

premières maisons du bourg, qui était un cabaret. L’enseigne qui se balançait sur une tringle de fer rouillée, annonçait à tous les passants qu’ici Carville donnait à boire et à manger, et promettait aux plus difficiles les liqueurs les plus exquises.

Carville en personne, coiffé d’un bonnet de peintre en bâtiments, la figure ornée d’une barbe de huit jours, assis au comptoir, fumait sa pipe d’un air farouche. Sa femme balayait le pas de la porte.

En voyant apparaître maître Loret, elle rentra précipitamment et dit à son mari : « Le voilà ! » L’homme jeta sa pipe sur le comptoir avec un geste de mauvaise humeur ; mais il ne se leva pas.

« Bonjour à tout le monde, » dit maître Loret en ôtant poliment son chapeau. Et sans vouloir remarquer qu’on le recevait plus que froidement, il marcha droit au comptoir, et dit au cabaretier : « J’ai là dans ma poche un jugement contre vous, vous savez ! »

L’homme grogna et dit que ce n’était pas difficile à deviner, rien qu’à le voir.

« Bon ! Eh bien, qu’est-ce que vous comptez faire ?

— Ce que je compte faire ? reprit l’autre en mettant les deux coudes sur le comptoir, et en regardant l’officier ministériel d’un air peu bienveillant. C’est bien facile de me demander ce que je compte faire. Eh bien ! vous qui en parlez si à votre aise, qu’est-ce que vous feriez à ma place ?

— J’offrirais une chaise à l’ami Loret qui est fatigué de sa course ; car voilà déjà que le soleil commence à être chaud. »

L’homme grommela quelque chose où l’huissier comprit que s’il avait besoin d’une chaise, il n’avait qu’à se servir lui-même. Comme il était bien décidé à ne pas se montrer difficile, il se contenta de ce consentement bourru, s’assit à califourchon sur la chaise, et dit en plongeant avec délices tout le bas de son visage dans son gros bouquet de marguerites : « À présent, causons affaires !

— Causer affaires ! quand vous venez m’égorger avec votre air bonhomme. Dites ce que vous avez à dire, et que ce ne soit pas long, sinon…

— D’abord, le jugement n’est pas exécutoire aujourd’hui.

— Alors, qu’est-ce que vous faites ici ?

— Écoutez-moi, Carville.

— Vous écouter ! dit l’autre en se levant. Voilà la porte ! et il étendit le bras vers la porte. Vous viendrez quand ce sera votre droit.