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Page:Les Braves Gens.djvu/250

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LES BRAVES GENS.

m’a empêché de dormir toute la nuit. Cependant, si dur que ce soit, j’aurai, avec l’aide de Dieu, la force de le supporter. » Et il ajouta, en se parlant à lui-même : « Pourvu que cela ne dure pas trop longtemps. »

Le colonel le regardait avec une vive sympathie. Il allongea la main vers son bureau, prit un papier, et dit à Jean : « Le régiment partira dans quelques jours. »

Le visage de Jean se colora d’une vive rougeur et fut comme transfiguré par la joie.

« Alors, dit-il, j’aurai la force d’attendre.

— Êtes-vous fort à l’escrime ?

— On me l’a toujours dit.

— Suivez-moi par ici ; nous allons voir cela tout de suite. »

Jean, assez surpris, suivit le colonel, qui le conduisit dans un fumoir où un vieux soldat en bras de chemise fourbissait une épée.

« Simon, dit le colonel, donne un masque et un plastron à ce soldat et prépare-toi à un assaut. »

Jean se mit en garde, et coup sur coup boutonna Simon, qui parut fort étonné.

« Mon pauvre Simon, dit le colonel au fourbisseur déconcerté, il me semble que tu as trouvé ton maître.

— Ça, c’est vrai, dit le soldat avec franchise ; mais il n’y a pas d’affront ; car vous voyez comme moi que le camarade est diablement fort. » Et il se remit tranquillement à fourbir son épée.

« Maintenant, dit le colonel à Jean, voici ce que vous allez faire. Bouilleron est un ferrailleur, et on le craint au régiment. Cette raison-là pourrait faire croire que vous avez peur de lui. Faites-lui proposer un assaut à armes courtoises, avec cette condition que s’il vous reconnaît plus fort que lui, vous aurez le droit de remettre la partie. Sinon, je ne vois aucun moyen de ne pas en découdre. S’il est assez fou ou assez vaniteux pour insister, tant pis pour lui. Autrement, voyez-vous, l’opinion de vos camarades serait contre vous, et ce serait à qui se donnerait le plaisir de vous tâter. Votre situation ne serait pas tenable, et puis l’exemple ! »

Bouilleron, qui venait de sortir de la salle de police, accepta avec une joie sauvage les conditions de la lutte.

« Enfin ! dit-il, on va en voir de belles ! et j’ai par-dessus le marché ma salle de police à lui faire payer ! Préparez-vous à rire, » dit-il à ses camarades.

Trois fois de suite Jean lui fit sauter son fleuret. Comme il se