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LES BRAVES GENS.

pour lui faire franchir un petit ruisseau. « Allons, mon vieux, allons ! » dit-il au soldat. Puis, reconnaissant Bouilleron, il s’écria en riant : « Oh, la bonne rencontre ! » Le mur crénelé avait été abandonné. Le régiment, c’est-à-dire ce qui restait du régiment, tenait le village. Les Bavarois voulurent encore résister ; mais la baïonnette eut raison d’eux, et le drapeau aux trois couleurs flotta sur le clocher.

« Ma foi, dit Jean à Bouilleron, en essuyant sa baïonnette avec une poignée de paille, j’aurais cru que c’était plus difficile que cela.

— Tu ne m’en veux plus ? lui demanda Bouilleron en lui tendant la main.

— Bête que tu es ! dit Jean avec une gaieté folle, je ne t’en ai jamais voulu. »

Tout à coup il frissonna ; son excitation s’était calmée à la vue du sang qui souillait ses mains. Il jeta les yeux sur les morts qui jonchaient le terrain, et il eut horreur de ce qu’il avait fait. Et pourtant, se dit-il, je n’ai fait que mon devoir ! Quelle abomination que la guerre !

Sur ces entrefaites, arriva le colonel qui avait eu son cheval tué sous lui, et qui malgré cela était un peu confus d’être en retard.

« Qui est entré le premier dans le village ? dit-il en regardant autour de lui.

— C’est le caporal Defert, crièrent plusieurs voix.

— Pardon, mon colonel, répondit Jean, j’y suis entré en même temps que Bouilleron.

— Pas du tout, répartit ce dernier avec vivacité, c’est bien lui qui a franchi le fossé le premier, à preuve qu’il m’a tendu la main pour m’aider à escalader le talus.

— Très-bien ! dit le colonel. Caporal Defert, à partir d’aujourd’hui vous êtes sergent, et je demanderai pour vous la croix de la Légion d’honneur. Quant au fusilier Bouilleron, je demanderai pour lui la médaille militaire. »

À ce moment, accourut un aide de camp. « Messieurs, dit-il au colonel et aux officiers qui l’entouraient, en ôtant son képi, nous avons la victoire ; l’ennemi bat en retraite ; vous camperez ici en attendant de nouveaux ordres. »

Dès le soir même, Jean ne manqua pas d’écrire à sa mère. « Il paraît, dit-il, que je suis une manière de héros ; vraiment on a bien fait de me le dire, car je ne m’en doutais pas. On nous a dit : Allez à ce village, quelque résistance que vous y trouviez, et nous y sommes