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Page:Les Braves Gens.djvu/287

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LES BRAVES GENS.

« Madame, dit le lieutenant d’un ton assez piteux.

— J’attendrai le capitaine, » répondit Mme Defert avec hauteur.

Le capitaine entra. Il avait l’air assez gourmé lui aussi ; cependant il salua poliment Mme Defert. Le lieutenant se leva à l’entrée de son supérieur ; puis il prit sa casquette et sortit en s’assurant que la clef de l’armoire aux bouteilles était bien dans sa poche.

Mme Defert dédaigna de se plaindre et en deux mots exposa son affaire au capitaine. Quand elle lui demanda s’il y avait à Saint-Calais des soldats du régiment de Jean et qu’elle lui eut dit le numéro de ce régiment : « Ah ! dit-il, monsieur votre fils était de ce régiment !

— Oui, monsieur.

— Un brave régiment, madame, reprit-il d’un ton grave. Quel grade, s’il vous plaît ?

— Lieutenant.

— Quel âge ?

— Pas tout à fait vingt ans ; » malgré elle ses lèvres se remirent à trembler.

Le capitaine se mit le front dans sa main et réfléchit, les yeux baissés. « Est-ce que… » il rougit au moment de faire sa question. « Pourriez-vous, dit-il en se reprenant, me donner quelques détails qui puissent le faire reconnaître ?

— J’ai sa photographie, qu’il m’avait envoyée quelques semaines avant sa mort. »

D’une main mal assurée, elle tira la photographie d’un petit carnet. Elle la montra au capitaine, sans toutefois se résoudre à la lui laisser toucher. Il ne parut pas blessé de cette répugnance. « Je le reconnais, dit-il enfin d’une voix altérée. Je l’ai vu une fois, et quoiqu’il ait pour longtemps arrêté mon avancement, je ne puis lui en vouloir. Je l’admire et je le respecte. C’est lui qui nous a faits prisonniers, mon général et moi, dans nos lignes mêmes. J’ai le chagrin, madame, non pas de vous annoncer sa mort, puisque vous la savez déjà, mais de vous la confirmer. » Il lui donna alors les détails qu’il avait appris, et ne lui laissa aucun doute, aucune espérance. « Si j’osais, reprit-il avec un certain embarras, après un long silence, je vous proposerais une lettre de recommandation pour un des officiers de l’état-major de Vendôme. »

Mme Defert accepta avec reconnaissance. Le capitaine s’assit devant la table et, après avoir réfléchi quelques minutes en mordillant les barbes de sa plume, il écrivit la lettre.