Page:Les Braves Gens.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
294
LES BRAVES GENS.

à peu leur assurance, les autres avaient la tête haute et le regard assuré ; ils parlaient de leurs souffrances, sans préciser quelles étaient ces souffrances, et prenaient partout un ton agressif, pour éviter d’être attaqués.

D’autres, au contraire, avaient payé de leur vie l’honneur de faire leur devoir et de défendre leur pays. La ville fut très-fière de ceux-là, et leur éleva un monument où leurs noms furent inscrits. Le maire de Châtillon n’était pas ce qu’on appelle un homme éloquent, il s’en fallait même de beaucoup ; mais c’était un homme de cœur ; lui aussi il avait fait son devoir, et plus d’une fois il avait risqué sa liberté et sa vie pour résister aux exigences injustes d’un vainqueur rapace. Il prit la parole, le jour où fut consacré le monument, et trouva dans son cœur des accents dignes de ceux dont on honorait la mémoire. La ville tout entière assistait à cette cérémonie, et tous ceux qui entendirent ses simples et touchantes paroles sentirent leur cœur se gonfler d’une généreuse émotion, quand il parla du sacrifice de ces braves enfants qui s’étaient donnés tout entiers pour racheter le pays. En leur nom, et au nom de ceux qui survivaient, il déclara que la patrie n’est pas morte, que le nom de patrie n’est pas un vain mot, qu’un pays qui produit de tels enfants n’est pas un pays dégénéré. « C’était, disait-il en finissant, un pays endormi, mais qui a eu un terrible réveil. Il est debout maintenant, purifié par le malheur, et fermement résolu à refaire son avenir ! »

Lorsque, en parlant des morts, le digne homme rendit hommage à ceux qui avaient survécu, tous les regards se tournèrent vers Jean et vers sa mère, qui lui donnait le bras, Jean devint encore plus pâle d’émotion, et s’appuya plus fort sur le bras de sa mère, qui pleurait de joie et d’orgueil. À ce moment-là, chacun sentit son cœur tressaillir en lui, et reconnut la vérité de cette parole : « Non, la France n’est pas morte ! » Parmi tous ces cœurs, il en est peut-être de légers, chez lesquels l’enthousiasme avec le temps fera place au doute et à l’indifférence, mais il en est d’autres qui furent touchés à fond, et marqués pour le sacrifice à venir.

L’esprit des ouvriers est bien changé à Châtillon. Ce n’est pas que les apôtres de l’espèce de Philoxène les eussent négligés, même pendant l’invasion. Venus on ne sait d’où, ni par où, ni comment, ces