Page:Les Braves Gens.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
301
LES BRAVES GENS.

— Il faut nous la dire, voulez-vous ?

— Je veux bien ! » Quand il eut fini de réciter la pièce au milieu des rires de l’auditoire, Robillard lui dit : « Combien en avez-vous fait en tout ?

— Cent vingt-neuf.

— Quelle chance ! vous nous les direz toutes. À propos, vous ne faisiez pas de vers avant les derniers événements.

— Jamais, dit M. Sombrette en rougissant. Mais vous savez : facit indignatio versum[1].

— Dites-nous-en d’autres.

— Volontiers ; mais je ne sais que ma partie ; chacune de mes sœurs sait la sienne, nous avons divisé la besogne. » Et se laissant entraîner par le plaisir qu’éprouve tout auteur à se sentir goûté et applaudi, il déclame d’abord : Les souliers d’enfant ; histoire d’un soldat qui avait volé de petits souliers blancs pour son enfant, et qui huit jours après apprenait par une lettre la mort de son petit garçon. Il avait vu là une punition du ciel et était devenu complètement fou.

« Mais, c’est fantastique ! s’écria Robillard.

— Fantastique et vrai, reprit gravement M. Sombrette. Voici maintenant l’Anatomie d’un tornister. Vous savez que c’est le nom qu’ils donnent à leur sac. Il y avait de tout dans ce tornister, jusqu’à de la verroterie, jusqu’à un faux chignon.

— Encore ! » dit Robillard, comme les enfants à qui on raconte des histoires. Et l’on applaudit à la file : le Polonais, ou ne faites pas comme nous, le Fourgon de déménagements, la Réquisition, l’Âge d’or, Cinq bouteilles pour un, la Pendule. Quand M. Sombrette demanda grâce, Robillard consentit à le laisser respirer, à condition qu’il lui permettrait de l’aller voir et de mettre sa mémoire et celle de ses sœurs à contribution.

« D’abord c’est amusant, dit-il, et puis il est bon de se mettre tout cela dans l’esprit, et d’apprendre à bien connaître son monde ! »

Mme  Hermance est triste. Les bonnes gens qui la voient se disent : « Tiens ! tiens ! voilà une femme qui a plus de cœur qu’on ne l’aurait cru : elle s’afflige des désastres du pays. » Il y a bien quelque chose de vrai dans cette réflexion ; mais la tristesse de Mme  Hermance a une autre cause. Entre intimes, il lui arrive quelquefois de dire avec un

  1. L’indignation fait les poètes.