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Page:Les Braves Gens.djvu/45

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LES BRAVES GENS.

Il n’ajouta pas qu’il entrait dans son plan de faire les choses grandement le jour du baptême (non par vanité personnelle, mais pour faire honneur à la tribu des Salmon) ; s’il avait consulté Mme Defert, elle n’aurait pas manqué de lui défendre de faire des folies ; et il n’aurait jamais osé lui désobéir.

L’ancien prévôt se gratta l’oreille avec un certain embarras.

« C’est que, voyez-vous, mon capitaine, il y a vingt-cinq ans de cela ; et il a passé par là-dessus tant d’assauts et de verres de vermout, que je craindrais d’oublier quelque chose. Mais vous allez entrer par ici, et ma femme, qui est une fine mouche, et qui connaît le monde, vous dira, mot pour mot, tout ce qui en est. »

Le capitaine ayant déclaré que rien ne pourrait lui être plus agréable que de conférer avec Mme Aubry sur le sujet qui le préoccupait, fut introduit aussitôt dans un petit salon triangulaire, aussi étroit, aussi encombré, aussi mal commode et aussi sombre qu’on peut le souhaiter. C’est là que se tint la conférence, conférence sérieuse s’il en fut. Il se trouvait justement que Mme Aubry était très au courant des us et coutumes du baptême en général, et des devoirs du parrain en particulier.

Le capitaine écoutait avec attention, et suçait la pomme de sa canne pour éviter les distractions. Il ne perdit pas Mme Aubry de vue le quart d’une seconde. Quant au maître d’armes, qui n’avait pas le don de l’éloquence, il admirait, les yeux grands ouverts et les mains étalées sur les genoux, la science et l’éloquence de sa femme. Il approuvait par des signes de tête périodiques, et ce qu’elle disait, et la manière dont elle le disait.

Quand le capitaine eut bien écouté, sans oser seulement cligner la paupière ; quand il eut plusieurs fois embrouillé la question à force de vouloir l’éclaircir ; quand il eut passé par des angoisses telles que la sueur lui perlait sur le front ; quand, grâce à la patience de Mme Aubry, il sortit pas à pas de l’espèce de labyrinthe où il se débattait ; quand il fut bien convenu que le parrain s’appelait Jean, capitaine en retraite, la marraine Marguerite Defert, par procuration pour une vieille tante qui ne pouvait se déplacer, que le filleul prendrait le nom de son parrain, que le baptême se ferait à la paroisse Saint-Lubin, un dimanche, le capitaine s’écria : « Je sais maintenant ma théorie sur le bout du doigt ; le reste me regarde. » Et il partit tout rêveur et tout joyeux. C’est ainsi que d’un salon triangulaire, où un chat eût été mal à l’aise pour danser, qui par surcroît prenait