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LES BRAVES GENS.

demain, et tout étonnée de n’avoir pas plus d’efforts à faire. Depuis la naissance de sa première fille, elle n’allait plus que fort peu dans le monde, où elle était cependant fort recherchée. Le monde l’avait un peu raillée d’abord de ce qu’il appelait sa manie de retraite, et l’on avait trouvé, dans les salons élégants, qu’elle était un peu « pot-au-feu ».

Comme on vit qu’elle ne devenait ni dogmatique ni pédante, qu’elle n’avait pas de système d’éducation à développer pour écraser les gens de sa supériorité, qu’elle ne donnait des conseils qu’à ceux qui lui en demandaient (et encore avec quelle discrétion !) ; comme elle ne se targuait pas de son renoncement au monde pour faire la bonne mère, comme elle ne critiquait jamais personne, et qu’elle ne permit jamais à ses enfants de tomber dans la moquerie, on lui pardonna de faire mieux que les autres ; on ne fut pas blessé de son dévouement pour ses enfants. Dans un certain monde, on la trouva à la fois un peu arriérée et un peu originale, mais on continua à l’aimer quand même.

M. Defert, qui était très-fier de sa femme (et il avait bien raison) et qui tenait à s’en faire honneur dans le monde (qui oserait l’en blâmer ?), fit bien d’abord quelques observations. Ses observations furent écoutées avec déférence, ce qui le disposa bien tout de suite. En vérité, on aurait cru que cette petite Mme Defert avait fait son cours complet de rhétorique, pour savoir si bien prendre son monde. Elle développa ses raisons avec tant de raison et d’enjouement que M. Defert, pris pour arbitre, déclara qu’elle avait raison comme toujours. Il céda, et en cela il fit preuve de bon sens.

L’éducation des fillettes marchait donc sans trop de difficultés : mais sur bien des points on trouvait à critiquer en elles.

Par exemple, Marguerite, qui avait douze ans, n’aurait pas su entrer seule dans un salon sans rougir et sans se déconcerter, tandis que telles fillettes de son âge que je pourrais citer étaient déjà de véritables petites femmes, pimpantes, sémillantes, avec un joli babil tout plein de riens charmants et de réparties fines. Au fond elle était coquette comme toutes les petites filles, mais son goût naturel pour les jolies toilettes, n’étant pas cultivé avec amour, n’allait pas jusqu’à lui faire prendre en horreur les blouses qu’elle portait encore pour travailler et jouer à la maison. Elle trouvait même qu’il était bien agréable d’être à son aise pour courir et sauter dans le jardin. Mais, Mlle Ardant disait en riant à une autre jeune personne de douze