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LES BRAVES GENS.

ans : « C’est un sac, ma chère, que cette horrible blouse ! et des brodequins lacés ! Comprenez-vous cela ? et en gros cuir comme ceux des collégiens ! » Et la petite pécore, en toilette fraîche et en bottines de cérémonie pour rester à la maison, jetait un regard de côté dans l’armoire à glace, refaisait les plis de sa robe, et lissait sa chevelure aussi coquettement qu’un petit oiseau lisse ses plumes. — « Et si ses parents étaient pauvres encore ! » reprit l’amie, en comparant sa toilette à celle de sa « chérie » pour voir si par hasard l’autre ne l’éclipsait pas. « Cela ne fait-il pas pitié ! » Et là-dessus, de jolis rires de petites coquettes, de jolis mouvements de femmes du monde, et une conversation intarissable sur toutes sortes de sujets qui eussent fait ouvrir de bien grands yeux à la pauvre Marguerite.

Mais, par bonheur, et grâce à la prudence de sa mère, la pauvre Marguerite ignorait combien elle était en retard sur les jeunes demoiselles de son âge. Elle sautait et gambadait avec Marthe, sans nul souci de sa dignité ; elle jouait à la poupée tout aussi bien qu’elle s’amusait d’un conte de fées. Elle revenait du jardin, animée, les joues roses, les yeux brillants, les cheveux en désordre, trouvant que c’était bien dommage d’avoir un devoir à faire quand le temps était si beau, mais le faisant de son mieux parce qu’elle savait qu’il fallait le faire, et que maman n’eût pas été contente si on l’avait négligé.

Et Marthe ? Hélas ! Marthe était aussi déplorablement en retard pour son âge que Marguerite pour le sien. Pour tout dire, en un mot, c’était encore un gros bébé.

« Figurez-vous, ma chère, disait une autre fois Mlle  Ardant à son amie, que ces petites prennent tout au sérieux, M. Dionis par exemple. Or, je vous le demande, qu’est-ce que M. Dionis ? Où prenez-vous M. Dionis ? Si vous voulez avoir une bonne scène, dites à ces enfants (car après tout on a l’âge que l’on paraît avoir), dites-leur, pour voir, que M. Dionis est hideux avec ses grosses besicles, son habit de l’autre siècle, et sa démarche de rhinocéros en retard. Marguerite deviendra sérieuse, Marthe se fâchera tout rouge, et elles vous répondront en chœur que M. Dionis est très-bon, et que maman veut qu’on le respecte. Le respecter ! Ce n’est, après tout, que le commis de leur père.

— Et Mademoiselle, parlons de Mademoiselle !

— Est-elle assez roide, assez pincée, assez mal fagotée !

— Et ennuyeuse !