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LES BRAVES GENS.

auteurs ». L’oncle, indigne d’un tel neveu, disait, il est vrai, que « c’étaient des bêtises ! » mais il laissait faire sa femme qui suait sang et eau à orner la mémoire du marmot, et à faire naître les occasions de mettre sa jeune érudition en lumière.

Il y avait enfin le jeune Ardant, dont le père, ancien marchand de tableaux, avait fait bâtir à grands frais le château de la Folie-Ardant, aux portes de la ville. M. Ardant était resté l’ami d’un grand nombre d’artistes, qui venaient par caravanes jouir de sa fastueuse hospitalité. Le gamin n’avait qu’à les écouter pour faire une bonne provision de mots singuliers et de « scies d’atelier ». Il les débitait ensuite avec un aplomb bien au-dessus de son âge. Jean Defert aurait certainement fait le quatrième, si sa mère n’avait pas contrarié sa vocation, et il en aurait rejailli sur sa famille une grande considération. Mais, comme disent les poètes, les destinées en avaient décidé autrement.

Il est vrai que Michel de Trétan devint par la suite un fat de la plus belle eau, sans compensation ; car ses saillies s’arrêtèrent net vers l’âge de quinze ans. À vingt ans, ce fut un beau petit monsieur, avec une raie irréprochable sur le milieu de la tête, et rien dedans. Il eut alors un joli petit parlage vide, suivi de silences mélancoliques pendant lesquels il suçait la pomme de sa canne, cherchant toujours un mot spirituel qui ne voulait plus venir.

Pierre Bailleul devint si pédant et si insupportable, qu’à seize ans il mettait tout le monde en fuite. Au bal, par une fatalité inexplicable, les danseuses avaient toujours promis la valse qu’il leur demandait ; s’il se rejetait sur une polka, c’était exactement la même chose. Il se consolait de sa mésaventure par une citation ; on riait derrière l’éventail. Les jeunes gens, qui suivaient de loin avec une joie maligne la série de ses déconfitures, l’accueillaient ensuite avec des compliments dérisoires.

Quant au jeune Ardant, lorsque ses plaisanteries eurent perdu leur plus grand sel, qui était d’être débitées par un enfant, elles parurent fades ou déplacées. Et puis, le nombre des scies d’atelier n’est pas si considérable qu’on pourrait se le figurer, et il fut bien vite au bout de son répertoire. Il eut cependant, parmi les collégiens et les tout jeunes garçons imberbes, des admirateurs et des imitateurs. Ce qui ne l’empêcha pas de passer dans le monde pour un garçon de mauvaise éducation et de mauvaises manières. Voilà ce que l’avenir réservait à ces trois jeunes messieurs.