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Page:Les Braves Gens.djvu/75

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LES BRAVES GENS.

Sans lire dans l’avenir, Mme Defert, avec son bon sens ordinaire, avait jugé qu’un enfant prodige est un objet de luxe, dispendieux dans le présent, inquiétant pour l’avenir ; et elle avait courageusement fauché la gloire naissante de Jean.

C’était toujours un souci et un danger de supprimés. Dieu merci, il lui en restait bien assez d’autres.

Quand l’âge des jaquettes fut passé et que Jean fut introduit dans son premier pantalon, il eut un mouvement d’orgueil naïf. Dans la joie de sa transformation, il montra, par quelques mots, qu’il commençait à regarder ses sœurs d’un peu haut, depuis qu’il était devenu un homme.

Sa mère ne lui fit point de morale ; elle ne lui démontra pas que l’orgueil conduit tout droit aux plus épouvantables catastrophes. Mais elle l’amena facilement à découvrir que les femmes et les jeunes filles ont leur mérite aussi bien que les hommes. D’un autre côté, au lieu de profiter de l’occasion pour écraser dans son germe cet orgueil naissant, elle jugea plus prudent de le réduire à de justes proportions, et d’en tirer les éléments de l’estime de soi-même et de la dignité personnelle. Elle voulut bien considérer Jean comme un homme, à condition qu’il se conduirait comme un homme : comme un homme de huit ans, bien entendu.

Voilà donc M. Jean tout préoccupé de mériter le nom d’homme, avec des scrupules à mourir de rire, des confidences qui font rêver sa mère, des échappées qui l’étonnent et l’effrayent, et des retours qui l’attendrissent.

« Un homme peu-il manger des confitures ? — Oui, à condition de n’être pas gourmand, et de ne pas lécher les confitures pour donner ensuite la tartine à Phanor.

— Un homme peut-il jouer à la poupée avec sa cousine Léocadie ? — Oui, pourvu que ce soit à ses heures de récréation ; pourvu surtout qu’il ne jette pas la poupée de Léocadie sur le toit du pigeonnier : ce qui désole Léocadie et lui fait pousser des cris de paon. L’homme en question est obligé ensuite de prendre l’échelle du jardinier à laquelle on lui a défendu de toucher, et de courir sur le toit du pigeonnier au risque de se casser un bras ou une jambe, ce qui ferait beaucoup de chagrin à maman.

— Un homme peut-il laisser dire à Bailleul que sa sœur Marthe chante faux ; et n’est-ce pas son devoir de souffleter Bailleul pour avoir tenu ce propos impertinent ? — Un homme ne s’inquiète pas de