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Page:Les Braves Gens.djvu/77

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LES BRAVES GENS.

assez tendrement pour croire qu’ils faisaient de leur mieux afin de le rendre heureux maintenant et dans l’avenir.

Mme de Trétan, la femme du sous-préfet, recevait tous les vendredis, sans compter les quatre grands bals officiels ; et, comme elle avait un fils qu’elle voulait amuser à tout prix, elle donnait des collations tous les jeudis. Les invitations étaient faites au nom du bambin, sur des cartes imprimées qui faisaient rêver Jean. C’étaient bien des enfants, garçons et fillettes, qui se réunissaient le jeudi à la sous-préfecture, mais leurs jeux cessèrent bien vite d’être des jeux d’enfants. Les petites filles, avec une facilité surprenante, avaient appris le langage et les manières des dames ; il y en avait une, plus avancée que les autres, qui savait déjà s’évanouir gracieusement. Les garçons, plus insouciants et plus lents à mouvoir, s’étaient cependant laissé entraîner dans cette voie.

Mme de Trétan avait déclaré bien nettement, et à plusieurs reprises, que c’était sans cérémonie. Ce qui n’empêcha pas que ceux qui étaient venus en brodequins la première fois, revinrent désormais avec des bottines vernies. On commença, dans ce monde enfantin, à discuter la coupe d’une veste et la nuance d’une cravate. Le langage fut à l’avenant. On ne se contentait pas de dire : J’aime une chose, ou je ne l’aime pas ; on l’adorait ou on la détestait. Mme Defert, malgré les invitations les plus pressantes, avait résisté la première année tout entière ; mais lorsque Jean eut ses huit ans révolus, et qu’elle n’eut plus d’excuse valable, elle se résigna en soupirant. Jean avait pris de ses amis du jeudi quelque chose de frondeur et de railleur, et il s’était mis à adorer et à détester comme eux.

Régulièrement, le lundi, le mardi et le samedi, Jean adorait M. Dionis et Mademoiselle ; régulièrement aussi, il les détestait le mercredi et le vendredi. Règle générale : quand l’élève adore le maître, cela prouve simplement que le maître est content de l’élève ; et quand ce dernier déteste son professeur, il y a cent à parier contre un que le professeur a eu à se plaindre de l’élève. Sans avoir une ardeur extraordinaire pour le travail, Jean, par conscience, et aussi pour faire plaisir à sa mère, combattait avec succès ses velléités de paresse le lundi, le mardi et le samedi. Ces jours-là, il lui arriva même de tracer des paraphes si corrects et si réguliers, que M. Dionis, dans la joie de son âme, songeait qu’un jour il pourrait lui apprendre à dessiner d’un seul paraphe une fleur, un oiseau, ou ce qui est le triomphe de l’art calligraphique : Le lion de Florence et la mère qui lui redemande