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LES BRAVES GENS.

son enfant. Mademoiselle, moins enthousiaste, se déclarait cependant satisfaite, et espérait qu’il pourrait passer bientôt de l’histoire des empires d’Orient à celle de la Grèce.

Mais le mercredi, veille de la collation, il était déjà en esprit à la fête du lendemain. À quels jeux jouerait-on ? Danserait-on comme la dernière fois ? Quelle cravate aurait Michel de Trétan ? Quelles aventures raconterait-il ? Mènerait-il ses amis visiter le poney ? Proposerait-il à Léocadie de monter dessus, ou de lui donner du sucre pour s’en faire aimer !

Le vendredi, que de souvenirs lui tourbillonnaient dans la tête ! Bailleul avait des sous-pieds, Ardant était frisé et sentait la cigarette. Léocadie boudait : pourquoi boudait-elle ? Michel de Trétan avait une nouvelle chaîne de montre. Et alors M. Dionis lui faisait remarquer que les pleins sont des pleins, et les déliés des déliés, et que chaque chose doit être à sa place ; qu’il est inutile et même dangereux de prendre tant d’encre à la fois, puisque cela fait d’énormes pâtés sur les pages ; qu’il n’est pas nécessaire de regarder voler les mouches et de s’arrêter un quart d’heure entre chaque mot. De son côté, Mademoiselle remarquait avec étonnement, ensuite avec indignation, que Jean ne se souciait pas du tout des empires d’Orient ; qu’il faisait de Sémiramis un homme, et de Nabopolassar une femme ; qu’il disait la tour de Babylone au lieu de la tour de Babel, et qu’il bâillait affreusement, tantôt derrière sa main, tantôt sans songer même à se cacher.

Quand M. Dionis essuyait trois fois de suite ses lunettes (signe de tempête) et quand Mademoiselle disait d’un ton sec : « Je crois que je ferais mieux de m’en aller », il revenait brusquement au sentiment de la réalité, et comprenait toute l’étendue de sa faute. Quelquefois il était tellement énervé par ses rêvasseries, qu’il n’avait plus le désir ni la force de se justifier. Ces jours-là, Mme  Defert secouait tristement la tête et soupirait. D’autres fois, avec cette habileté mauvaise de l’écolier paresseux qui connaît le faible de son professeur et l’exploite au profit de sa paresse, il demandait à M. Dionis des nouvelles de sa collection de tulipes, et se faisait raconter par le menu les ravages des insectes et la guerre d’extermination que leur faisait M. Dionis. Ou bien il mettait Mademoiselle sur l’histoire de sa famille, qui se composait d’un frère professeur au collège, et de quatre autres sœurs, dont deux étaient pianistes et les deux autres institutrices.

Un jeudi matin, M. Defert apprit la mort d’une parente éloignée,