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Qu’est-ce qui trouble donc le vulgaire et qu’est-ce qui l’effraie ? Le tyran et ses gardes ? Comment cela serait-il ? Et à Dieu ne plaise que cela soit ! Il n’est pas possible que l’être né libre soit troublé, entravé par un autre que par lui-même. Ce sont ses jugements seuls qui causent son trouble. Car, lorsque le tyran dit : « Je chargerai de fers ta jambe, » celui qui attache du prix à sa jambe, s’écrie : « Non ! par pitié ! » Mais celui qui n’attache de prix qu’à sa libre décision, dit : « Charge-la de fers si cela te semble bon. — Cela ne te fait rien ? — Cela ne me fait rien. — Je te montrerai que je suis le maître. — Comment le pourrais-tu ? Jupiter m’a fait libre.

Crois-tu qu’il ait pu permettre que son propre fils devînt esclave ? Tu es le maître de ma carcasse ; prends-la. — Ce n’est donc pas moi qui suis l’objet de tes soins lorsque tu m’approches ? — Non ; mais moi-même. Et si tu veux me faire dire que tu l’es aussi, entends-moi bien : tu l’es comme le serait une cruche. »

Ce n’est pas là de l’égoïsme, car l’être animé est fait pour agir toujours en vue de lui-même. C’est pour lui-même que le soleil fait tout, et Jupiter aussi. Mais, quand ce Dieu veut être le distributeur de la pluie, le producteur des fruits, le père des dieux et des hommes, tu peux voir qu’il n’en obtient et le nom et la chose qu’en étant utile à la communauté. Il a donné à tout être raisonnable une nature telle, qu’aucun d’entre eux ne peut trouver son bien particulier qu’en faisant quelque chose d’utile à tous. C’est ainsi qu’on n’est pas l’ennemi de la communauté, tout en n’agissant qu’en vue de soi-même. Qu’attends-tu, en effet ? qu’un être renonce à lui-