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Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/33

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de mots anciens ressemblaient à des pièces de monnaie dont le maximum et le minimum seraient fixes, mais dont il faudrait déterminer chaque fois la valeur d’occasion. En dedans de leur valeur générale, les mots de la langue morale surtout ont presque chaque fois une valeur accidentelle, que l’on ne peut déterminer qu’en les rapprochant de tout ce qui les précède et de tout ce qui les suit. Trouvez, par exemple, un mot français qui soit l’équivalent constant des mots λόγος, τέχνη, δύναμις, φαντασία, voire même προαίρεσις.[1] Traduire un philosophe ancien, c’est donc bien le commenter, periculosæ plenum opus aleæ ! C’est penser et faire penser avec les habitudes d’esprit du dix-neuvième siècle ce qu’il a pensé avec les habitudes d’esprit de son temps. Dans une pareille entreprise la lettre est peu de chose ; c’est l’idée qui est tout.

  1. La φαντασία, par exemple, est tout ce qui nous apparaît (φαίνειν paraître), tout ce qui se montre à nous, depuis les objets extérieurs eux-mêmes et les idées images qui nous les révélaient, suivant les anciens, jusqu’aux conceptions abstraites qui sollicitent notre adhésion, jusqu’aux tentations qui sollicitent notre volonté. Le traduire par le mot pensée, que M. Thurot adopte presque constamment, c’est d’autant moins ne rien dire que la pensée est pour nous un acte de l’intelligence, un élément actif, et que la φαντασία est toujours passive. Nous l’avons traduit le plus souvent par le mot idée, pris au sens antique des idées images ; mais bien des fois ce n’est là qu’une traduction timide, et le vrai sens de la formule χρῆσις τῶν φαντασιῶν serait, fort souvent, la façon dont on use des choses, le parti qu’on sait tirer des événements, la conduite que l’on tient dans les différentes conjonctures.

    Même observation pour προαίρεσις, que M. Thurot traduit constamment par volonté, et qui répond réellement à notre faculté de juger et à notre faculté de vouloir, tantôt réunies, tantôt séparées.