Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/337

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Et quel homme, en me voyant, ne croit pas voir son seigneur et son maître? »

Voilà le langage du Cynique, voilà son caractère, voilà ce qu’il veut. — « Non (dis-tu), ce qui fait le Cynique, c’est la besace, c’est le bâton, ce sont les fortes mâchoires. C’est de dévorer, ou de mettre en réserve, tout ce qu’on lui donne; c’est d’insulter mal à propos tous ceux qu’il rencontre, et de montrer à nu ses larges épaules! » (Tu as tort); et sais-tu maintenant comment tu dois entreprendre une aussi grosse affaire? Commence par prendre un miroir; regarde tes épaules; examine tes hanches et tes cuisses. Homme, tu veux te faire inscrire pour les jeux olympiques; ce ne sont pas là des luttes insignifiantes et sans difficulté. A Olympie, on n’en est pas quitte pour être vaincu et s’en aller ainsi; il faut d’abord étaler ses imperfections physiques devant toute la terre habitée, et non pas seulement devant les Athéniens, les Spartiates ou les habitants de Nicopolis; puis être abîmé de coups, quand on est descendu dans la lice à l’étourdie; et, avant d’être battu, on aura souffert de la soif et de la chaleur, et avalé beaucoup de poussière. Réfléchis-y plus sérieusement; connais-toi toi-même; sonde la divinité; n’entreprends pas l’affaire sans elle. Si elle t’y encourage, sache qu’elle veut te voir grand ou roué de coups. Car voici une bien belle chose inséparable du Cynique: il ne saurait éviter d’être battu, comme on bat un âne, et il faut que battu il aime ceux mêmes qui le battent, parce qu’il est le père et le frère de tous les hommes.[1]

  1. Ceci n’est-il pas l’équivalent de la doctrine chrétienne: Aimez vos ennemis?