Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/100

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liée sur l’ol)jcl de sùii iii>iiiiéUule seeiètc ; oui, loule la personne d’Iimnia, de celle vive el l)rillante conilesse de Marcilly, dont la mode avait fait sa divinité favoiite, est en ce moment triste, distraite, décourajiée, à demi couchée dans une causeuse de velours Ideu, d’où ses cheveux d’un blond doré, elson teinl si délicat, si blanc et si doux, se détachent admirablement ; et sa tête est léfçèreraent inclinée comme si le l>i)ids de graves et profondes pensées, trop lourd h porter pour sa faiblesse, l’enlraînait malgré elle ; une de ses mains, blanches, longues el flexibles, est tombée mollementà ses côtés, el se perd dans les plis mullipliésilu long peignoir de cachemire blanc qui l’enveloppe jusqu’aux pieds, et qu’une torsade blanche, nouée au bas de sa taille svelle, retient seulement pour atlesler la délicatesse de cette taille élégante dont les contours se devinent h peine dans l’immense ampleur de sa robe : si l’autre main n’a |)as suivi cette pente naturelle, c’est qu’involonlaireraeut elle s’est trouvée arrêtée par une imperceptible chaîne d’or que la belle rêveuse avait passée a son cou quelques instants auparavant, par un mouvement machinal, sans doute, car elle n’a pas jeté les yeux sur la petite montre que supporte cette chaîne et que ses doigts ont retenue et tiennent encore sans but et sans projet. Le cadran de la montre, celui des pendules, eussent vainement frappé les regards de la comtesse, elle n’eût rien vu. Que lui iniporlaitriicure ? Elle ne peut rappelei- ni un souvenir ni une espérancequi lasse battre son cœur. Emma n’a jamais aimé qu’elle seule au monde, et dans ce moment, absorbée par une idée, il n’y a plus de jours, idus d’heures, plus rien qui marque le temps pour elle, la vie est tout entière dans ce qui l’occupe. L’emporter, triompher, tout est l’a, le reste n’existe plus.

Elle est toujours immobile, mais sa pensée s’échappe encore malgré elle de ses lèvres ; ses paroles trahissent le secret qui l’agite, et ses yeux interrogent avec anxiété le miroir, conûdent involontaire de ses craintes cachées.— Ai-je donc, dit-elle, perdu quelque chose de cette beauté qu’on admirait ? Un changement inaperçu par mes regards troublés a-l-il enlevé la puissance ’a ce visage qui charmait ? Ai-je oublié dans ma toilette cet art d’être élégante avec assez de bizarrerie pour attirer les yeux, sans approcher de cette singularité qui peut toucher au ridicule ? Il ne s’agit pas pour moi d’être bien, mais d’être mieux ; d’être jolie, mais d’être la plus jolie ; d’être remar- (juée, mais d’être seule remarquable, car il vaudrai ! mieux être au premier rang dans un village qu’au second dans Paris. Emma ne put s’empêcher de sourire en parodiant ainsi un célèbre bon mot, etd’ajouter ;— Oui, César avait raison... il fut le plus grand parce qu’il fut le plus ambitieux, et l’ambition c’est la coquetterie des hommes ; voila tout. Et le regard de la belle ambitieuse avait l’air orgueilleux d’uncon(iuéranl sûr de reprendre "a main armée la puissance qu’on a osé lui disputer. Puis, pouiaccroître sans doute son courage en se rappelant ses droits incontestables au pouvoiiqu’elle veut ressaisir, Emma continua :

— Que de sacrifices n’ai-je pas faits ? tpie de soins n’ai-jc pas pris pour assurer mes succès et conserver ma place de femme "a la mode, dans un temps où la gloire est si capricieuse et les places si difficiles h garder ? Il m’a fallu autant d’habileté que de bonheur, autant d’adresse que de beauté, autani de calculs que de chances favorables !

Si j’avais écouté parfois mon plaisir, mon caprice, mon cœur, je risquais tout.