Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/116

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72 LA Cdl I ! It VSSISKS.

los créalures de la créalioii ; elle vit h chaque pas d’éinolions ; elle se iiieiii i d oiikilioiis k chaque minute. Elle a un amant h cause de ses vapeurs ; elle a des vapeurs ;i cause de son amant. Il faut qu’elle sou l’fie pour niieu.v jouir, il faut qu’elle jouisse pour mieux souffrir. Elle ne redoute rien tant que les heures réglées, que la somnolence de la vie, que les molles tiédeurs du lioudoir et de l’édredon. Elle est peipétuellementen quête, a raidi et a minuit, au spectacle, à la chambre, au sermon, au bois, au bal, de tout ce qui peut tioublei’, diveilir, ébranler, ravager, désordonner sa pauvre âme et son pauvre corps. Elle se multiplie dans chaque objet qu’elle touche. Elle se porte avec toute sa vie, avec tout son être, danschaquesensalion nerveuse qu’elle éprouve, et l’on dirait (|u’elle nexisie plus pour le reste. Rien ne lui est obstacle. Dès qu’elle a résolu de voir quelqu’un ou quelque chose, elle le verra. Elle écrira dix petits billets ambrés au président des assises, pour obtenir la faveur d’une entrée, un fauleuil, une chaise, un bout d’escabeau. Elle s’échappe dès la pointe du jour de son lit chaud et reposé, et va taire queue à la porte du Palais. Elle y restera le front au vent de bise et les pieds dans la boue, s’il le faut. Elle s’enveloppe de sa manlillc. Elle grelotte et frémit dans ses membres délicats. La jiorte s’ouvre, et la voila qui se faufde. se presse, se loule, se pousse, se baisse, entre et pénètre à travers les gendarmes, les huissiers, et les robes noires des stagiaires. Elle se pend et s’accroche aux basques du sergent de ville, lui parle à l’oreille, le supplie d’une voix douce, et ne le lâche pas qu’elle ne soit casée, assise, les coudées franches, le binocle a l’œil, et à bonne portée de l’accusé et des juges.

Voyez comme elle suit pas à pas le drame vivant qui se déroule, et comme elle marche, la poitrine haletante, d’émotion en émotion ! Si le criminel a la barbe hérissée et les yeux hagards, elle éprouve en le regardant un plaisir de peur. Emotion. S’il a les joues rosées et les cheveux artistement bouclés, le beau garçon, se dit-elle tout bas, et quel dommage ! Emotion. Si les témoins arrivent les bras pendants, ou débitent des phrases prétentieuses et entortillées, elle rit sous son mouchoir. Emotion. Si l’accusé sanglote, elle pleure chaudementpar sympathie. Émotion. Si quelque jeune ûlle s’évanouit, elle court, vole, délace son corset et lui fait respirer des sels. Autre genre d’émotion . Mais a moins (]ue la salle d’audience ne craque sous ses lourds piliers, cette intrépide audiencière ne quittera pas la place. Les heures coulent, la nuit s’avance, les jurés délibèrent, elle attend. Il faut que ses yeux se collent avidement sur lesyeux ducrimipel, qu’elle se suspende à ses lèvres tremblantes, et qu’elle repaisse son âme des terreurs indélinissables d’une autre âme. Il faut qu’elle recueille les convulsions de cette conscience bourrelée. H faut qu’elle entende el le coup de sonnette du dernier jugement, et la sentence de mort, et le râle de cet homme dont la face se décompose, et dont la vie intérieure se brise et se déchire en lambeaux. Comme elle se penche vers lui ! comme elle prête l’oreille a ses cris inarticulés, "a ses soupirs qu’il étouffe ! Comme elle le suit d’un long regard jusqu’à ce que les portes du cachot se leferment avec l’espérance ! Alors elle retombe sur sa chaise, anéantie, absorbée dans la contemplation de son drame ; l’huissier de service est obligé de l’avertir que la salle se vide et de la pousser par les épaules. Elle sort enlin, el se traîne le long des sombres corridors du Palais, rentre au logis épuisée,