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88 LA MÈRE DACTRiCE.

— El la vôtre une panade.

— Vieille folle !

— Vieille mendiante...

Les mains sont levées, et le duel de paroles deviendrait un duel sérieux, si un pompier, en véritable chevalier français, ne se hAlait de séparer les deux combattantes.

On en est arrivé au dernier cntr’aele. La Saint-Robert jette un coup d’œil dans la salle par le trou du rideau , et dit à sa fille . f|ui , assise dans un large fauteuil gothique, souffle tout à son aise, et rassemble toutes ses forces pour arriver jusqu’au dénoi’iment :

« Aurélie... as-tu vu ton gros qui est là aux stalles des premières ?... Fais-lui donc de temps en temps une petite mine gentille... Il n’y a rien qui flatte un homme comme ça... Tu as toujours l’air de ne pas le connaître... Tu verras qu’avec ses minauderies, la Francine finira par te l’enlever... Et c’est un bon... » Pendant tout cet entr’acte, la Saint-Robert veille sur sa fille, comme une poule sur son poussin. 11 n’y a moyen d’aborder Aurélie d’aucun côté ; ii peine cherche-t-on à faire un pas vers elle , que l’on se trouve tout ^ coup face ù face avec la mère ; et alors il faut bien reculer. C’est que la Saint-Robert n’ignore pas que, les jours de première représentation , les coulisses sont pleines d’auteurs, de journalistes, d’artistes, tous gens fort aimables , fort séduisants, fort spirituels, mais fort peu capables de faire le bonheur d’une femme , à la manière dont l’entend madame de Saint-Robert. Aussi at-elle coutume de dire à son Aurélie :

« Ma chère enfant, défie-toi toujours des écrivassiers , des barbouilleurs, des saltimbanques et autre mauvaise graine ; ce n’est pas ce peuple-l ; qui mettra du beurre dans tes épinards. »

Au cinquième acte le drame se relève... grâce aux claqueurs ; le dénortment bien chauffé ne rencontre aucun obstacle, et Aurélie est rappelée après la chute du rideau. La Saint-Robert la reçoit palpitante d’émotion dans ses bras maternels, et crie A la Sainl-Phar qui n’a pas quitté son coin :

(( Plus souvent que votre Eugénie aura jamais des triomphes comme ça ! » Rentrée au logis, la Saint-Robert fait un punch au rum pour célébrer le double succès de la soirée. A trois heures du matin , elle regagne sa chambre ii (las douteux , et se couche, non , toutefois, sans remercier Dieu . qui lui a donné une fille si honnête et si méritante.

Maintenant que vous connaissez le caractère et les habitudes de la Saint -Robert, je vais vous dire sa fin.

Aurélie est une nature molle, paresseuse , insouciante , qui se laisse aller au courant de la vie, tantôt obéissant à ses caprices, tantôt aux volontés de ceux qui l’entourent , — mais toujours sans réflexion. A vingt -huit ans, au moment où elle devrait commencer A être raisonnable, elle tombe dans le piège que sa mère redoutait tant pour elle : elle se prend de belle passion pour M. Victor Rousseau, homme de lettres d’une quarantaine d’années , très-farceur, très-mauvais sujet, très-boutc-en- train , qui , chaque fois qu’il lui parle, la fait rire aux larmes. Après une jeunesse orageuse.