Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

N’ayez crainte que le véritable ambitieux aitciule la rortiiue de ce iiuon ;i|ipelle la cour, par ironie. Quand Laliruyère parle de la faveur, il n’a pas besoin d’ajouter la faveur loijale. Aujourd’hui. (|uand vous parlez de ia faveur. )om èlre compris, et même pour parler français, il faut ajouter une é|)ithète indispensable : on dit la faveur po/jH/oirc. Nous ne connaissons plus que celle-là.

D’oùil suit que plus la société française s’est trouvée divisée, plus l’élude des mœurs est devenue difticile. Ce grand royaume a été tranché eu aulaiil de petites républiques, dont chacune a ses lois, ses usages, ses jargons, ses héros, ses opinions politiques à défaut de croyances religieuses, ses audtitions. ses défauts et ses amours. Le sol de la France n’a pas été divisé avec plus d’acharnement depuis la perte de la grande propriété. Maintenant commeul donc le même moraliste, le même écrivain de mœurs, pourrait-il pénétrer dans toutes ces régions lointaines dont il ne connaît ni les routes, ni la langue, ni la coutume ? Comment donc le même lionnne pourrait-il comprendre tous ces patois étranges, tous ces langages si divers ? Si par hasard il se trompe de royaume, quel ne sera pas son étonnement en reconnaissant cpie lii cl lii ce ne sont jjIus les mêmes habits , les mêmes coutumes, les mêmes caractères, la même façon de voir, de comprendre et de sentir ? Il est donc nécessaire que celte longue tâche de l’étude des mœurs se divise et se subdivise à l’infini, que chacune de ces régions lointaines choisisse un historien dans son propre lieu, que chacun parle de ce qu’il a vu et entendu dans le pays qu’il habite. Qu’un seulbonnne se chargeât de cette histoire, c’était bon autrefois ; peut-être quand il n’y avait en France que la cour et la ville : mais aujourd’hui que rien n’existe plus dans ses limites naturelles, aujonid’hui que tous ces rares éléments d’une grande société sont confondus au hasard, arrivez tous â cette curée de comédies qu’il faut prendre sui’ le fait, vous les malicieux observateurs de ce temps-lâ !

Pour bien se convaincre de la nécessité de diviser le travail tout autant que la matière est divisée, ouvrez au hasard quelques-uns des chapitres de La Bruyère, et vous verrez quelle intinie variété de matériaux inconnus de sou temps. Le chapitre premier traite desOuvrages de l’esprit : ce simple cha|iitre est devenu, depuis La Bruyère, le sujet d’un livre immense qui embrasserait tous les détails de la vie littéraire, cette nouvelle façon de vivre et d’être un honmie important dont le dix-septième siècle n’avait aucune idée. Du temps de La Bruyère, c’ était un métier de faire un livre comme de faire une pendule : c’est bien pis que cela aujourd’hui, c’est un métier comme de raccommoder les vieux souliers. Du temps de La Bruyère, on n’avait jamais vu un chefd’œuvre (/«i fût rouvnuje de plusieurs : nous ne voyons que cela de nos 6