Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/205

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Supposons deux frères qui ro< ;oivenl, il liiiv il lioritage, une maison a Paris. Dans riiii|iossiiiiiil(' dt> la diviser on deux lois, ils s’adressent au même avoué pour la faire licilcr.

1,’avoué devrait suivre une marche bien simple. Les deux partis étant d’accord, il liiisuflirail de faire agréer par le tribunal un jugement rédi^’é dans l’élude, cl or- (iiinnanl la licilalion, après racc()ni|ilissemenl des formalilés légales. Mais ce n’est point ainsi que l’entend l’avoué de Paris. Ine procédure aussi simplement conduite ne produirait pas un état de frais assez bien fourni. Voici comment l’avoué de Paris procède. Chargé du mandat des deux frères, qui n’ont qu’un même désir, une mémo volonté, a savoir de vendre le plus tôt possible pour se partager le prix, l’avoué rédige la demande en licitation a la requête de Pierre ; Paul ne s oppose pas, loin de là" ? iNimporte ! l’avoué lui choisit llclivement un autre avoué, et, sous le nom de ce collègue qui prête complaisammeni sa signature (c’est d’usage) , il se signilie "a lui-même, avoué de Pierre, au nom de Paul, une requête à l’effet d’empêcher la licitation.

Les motifs de cette requête ne peuvent être qu’illusoires, car une licitation est toujours de droit ; aussi n’est-ce (ju’une affaire de forme, a laquelle on n’attache ])as grande importance. Le second clerc a, pour cette feinte procédure contradictoire, des phrases consacrées.

Dans cette roi]uête qu’il rédige au nom de Paul opposant, il diia, |>ar exemple : Il Vous le savez, et malheureusement c’est une observation trop bien confirmée, en ce moment tout est stagnant, par suite de la crise commerciale qui se fait sentir. Paris a surtout a se plaindre des tristes effets qu’elle produit. Autrefois, le capit ;»liste recherchait avec avidité les placements en immeuble ; mais aujourd hui que la (lèvre de la commandite s’est emparée de tous les esprits, un discrédit complet a frappé tout ce qui n’offre pas une chance a l’agiotage et a la spéculation ; aussi les enchères sont-elles désertes, et les bâtiments ainsi que les terrains ne peuvent-ils être adjugés même au plus vil prix, etc., etc. »

Maintenant c’est au tour de Pierre. Pierre riposte a la requête de Paul par une seconde requête ; et le même clerc, après avoir manufacturé la demande, se charge de la réponse. Il fait parler Pierre a peu près en ces termes : « Notre adversaire est dans l’erreur et s’abuse sur la situation actuelle des affaires. La commandite est en discrédit ; les fonds refluent vers les placements solides et exempts des chances de l’industrie et du commerce ; la conliance règne partout. On ne saurait trouver de moment plus propice pour vendre avantageusement les maisons et les terrains, etc., etc. u

Je n’ai pas besoin de dire qu’on peut varier ce thème à volonté, et que, sous la plume du clerc-rédacteur, ces phrases s’allongent indéliniment, de manière h produire une requête volumineuse. On a des formules de tel ou tel nombre de pages , selon l’importance de la licitation. Si l’immeuble est de peu de valeur, le style des requêtes est rapide et concis comme du Tacite ou du Paul-Louis-Courrier : si au contraire le prix est considérable, les requêtes sont abondantes et soufflées comme du Victor Ducange ou du Salvandy.