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sauce ; ou bieu eu le suppiimanl lout à fait, sans aulurisaliuu du garde des sceaux, pour preudie uiiiqueiueul celui du village voisin de sa maison de campagne. Il faut avoir connu la grande dame d’autrefois pouc comprendre l’excès du lidicule de celle qui affecte aujourd’imi de la remplacer. Tout ce que vous voyez ici en toilette, en luxe, ces petits salons dont les plafonds effleurent presque votre tête, et où s’étouffent trois cents persoimes ; tous ces Lommes vêtus comme pour aller à un enterrement ; ces cinq ou six domestiques dans l’anticliambrc, ces ûacres à la porte, tout cela peut-il offrir le moindre rapport avec le cortège princier qui entourait la grande dame d’autrefois ? Les nombreux laquais, les grandes livrées, les carrosses tout armoriés, la foule titrée, pailletée, parfumée ; ces hôtels si vastes, si resplendissants de richesses liéréditaires ; ces salons immenses où se déroulaient majestueusement les (lots soyeux et dorés des grands habits de cour, les proportions des habits, comme celles des hôtels et des fortunes, ont complètement changé. La richesse et la grandeur ont disparu du costume ; la forme de celui de la grande dame d autrefois n’appartenait qu’à elle, n’allait qu’a elle ; l’étoffe n’en avait été tissée que pour elle. La robe de la grande dame d’aujourd’hui n’est pas d’une coupe diflerente de celles des autres femmes ; elle peut aller à toutes les tailles ; ce n’est que la grâce et le goût individuels qui sachent lui donner une certaine distinction. Pour être juste, il faut convenir que la grande dame d’aujourd’hui a l’esprit plus cultivé que celle d’autrefois, dont l’éducation devait généralemenl encercler la pensée dans le frivole et spirituel partage des grands appartements de Versailles. Parfois même il lui arrive de viser "a la science. Mais devenant alors ce que les Anglais appellent a blue-slocking, et ne voulant paraître étrangère ’a aucune de ses spéculations les plus diverses, les plus élevées, elle disserte sur tout : elle parle de physique et de politique, de géologie et de chimie, de médecine et d’astronomie avec plus d’aplomb que les Franklin et les Montesquieu, lesCuvier elles Lavoisier, les Broussais et les Arago, et de façon a en imposer quelquefois sur la valeur réelle de son érudition, si le plus souvent on ne retrouvait, dans les revues ou les journaux qu’elle a lus le matin, tout le bagage scientifique dont elle se décore le soir. La grande dame de la vieille monarchie voyait les beaux-arts travailler "a l’embellissement de sa vie dorée, sans être h même d’apprécier leur création autrement que par le sentiment instinctif qui généralement avertit chacun de la présence du beau. Celle d’aujourd’hui ajoute au sentiment la compréhension ; elle admire avec discernement, elle donne souvent une partie de son temps h la poésie, "a la musiipie, "a la peinture : quelquefois même elle aurait droit au titre d’artiste.

L’orgueil de la fortune remplace dans la grande dame d’aujourd’liui la fierté d’une origine illustre, l’apanage de la grande dame d’autrefois. Il Est-il de noble race" ? dans quelles circonstances ses aïeux se sont-ils distingués ? » demandait-elle d’abord à qui sollicitait l’honneur de lui présenter un inconnu, « Est-il riche ? <> est la première question que fait en pareil cas la grande dame d’aujourd’hui.

L’or est le seul dieu du jour, l’or fait tout passer, l’or est le diapason du mérite ; la grande dame de nos jours lui doit ses plus i.’racieux sourires, ses attentions les