Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/280

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cliit. pas Iciicfink’ iruii tliili. Deux grands noms seuls onl passé les mers, el lliullen même les connaît et les cite : hàtons-nons de dire que ces deux noms apparlienneni a l’échiquier français, 1. Descliapellcs et M. de Labourdonnais ; les cercles d’Allemagne el les clubs d’AngIcteire ne leur opposent aucun rival. Il a été donné a M. Descbapelles de rappeler, dans quelques circonstances de sa vie militaire, les exploits de Boy le Syracusaiii : après la bataille d’Iéna, il entra a Berlin avec notre armée victorieuse, et se rendit au cercle des amateurs d’échecs, où il défia le plus fori, en lui proposant l’avantage du pion cl deux traits. Ce fut nn supplément à la bataille d’Iéna. Le cercle de Berlin fut battu en masse et en détail. M. Deschapelles finit par offrir la tour. La gravilc méditative el l’organisation exacte et mathémati(juc des Allemands furent vaincues par le calcul vif et spontané de l’iimatenr parisien.

Depuis une quinzaine d’aunées, M. Deschapelles, l’homme des hautes combinaisons par excellence, a abandonné le champ-clos de l’échiquier. C’est aujourd’hui M. de Labourdonnais qui tient le sceptre, et qui règne et gouverne en roi absolu. M. de Labourdonnais est âgé de quarante-cinq ans environ ; tout, chez lui, annonce le maître du mat : le développement de son front est vraiment extraordinaire ; ses yeux, dominés par de fortes pi-otubérauces, semblent toujours se fermer aux distractions extérieures, en se mettant en rapport continuel avec les méditations de l’esprit. Pctit-lils de l’illustre gouverneur des Indes immortalisé dans Paul et Virijinir. , doué (l’une intelligence supérieure et d’une persévérance d’application incroyable, il n’a jamais ambitionné que le titre de premier joueur d’échecs du monde el son but a été atteint. L’Europe sait que M. de Labourdonnais demeure rue Ménirs, n" I , à Paris, dans le bel hôtel du Cercle des échecs, et que c’est là qu’il attend les défis, et qu’il donne des leçons. Chaque jour, les étrangers arrivent de lous les points de la carte, les uns avec la noble prétention de combattre M. de Labourdonnais a armes égales ; les autres, avec la soumission modeste des inférieurs qui demandent avantage, tons heureux de connaître le maître célèbre, el de croiser le pion avec lui. M. de Labourdonnais ne refuse aucune proposition, aucun duel, il est pn’t à tout el à tous. A raidi, les batailles particulières commencent dans le vaste salon du club Menais, chauffé h vingt deijrés en hiver, et plein de fraîcheur en été. La ligure l’élat-inajor de M. ilc Lal>our<lonnais, c’esl-à-diie cette élite d’amateurs qui peut battre tous les joueurs anglais du club de Westminster, sans le secours et sans l’œil du maîlre. Dès que M. de Labourdonnais s’asseoit pour faire la partie de quelque visiteur inconnu arrivé de Saint-Pétersbourg, de Vienne, de La Haye, de Londres, toute autre partie est interrompue ; la foule se porte au quartier général ; elle s’étagc autour du chef, et tous les yeux sont cloués sur le doigt infaillible qui pousse en avant la pièce ou le pion victorieux. Il est inépuisable, l’intérêt (|ui s’attache a ces amusantes scènes, et quoi(pie les profanes ne comprennent pas trop ce genre d’émotion, il suffit de dire que les plus grands hommes en ont fait leur passion favorite, pour justifier cet intérêt auprès de ceux qui ne sont pas organisés pour le comprendre.

Plus heureux que Mapoléon, M. de Labourdonnais a lait sa descente en Angle-