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238 L’AMI DES ARTISTES.

tout un hiver, fuyait de maison en maison un ami des artistes obstiné k s’insinuer dans son intimité en se recommandant d’une foule de noms qu’il (|ualitïait de ses bons amis, de ses frères par les idées. Noire seulpleur s’était soustrait !i ce fâcheux, et l’avait perdu de vue, quand, parlant pour un voyage, il le retrouva dans la diligence, A ses côtés. Sur-le-champ, une dissertation ai-listique fut établie, et le statuaire , ayant épuisé les monosyllabes , ne sachant plus que devenir, se pencha vers l’oreille de son persécuteur, et lui montrant en face d’eux , sur le revers, un gros marchand de laines qui cachait sa face ingrate sous un bonnet de coton noir, il lui dit à voix basse : a Vous voyez ce gros papa simplement vêtu ? Eh bien, c’est M. de Lamartine qui voyage incognito. N’ayez pas l’air de le savoir.

— Bah ! répond l’autre ; mais oui , en vérité, je le reconnais à présent... Il a beaucoup engraissé ; cependant on ne peut s’y méprendre.

Grâce ; ce subterfuge , notre sculpteur fut délivré de toute obsession , au préjudice du marchand, sur qui l’ami des artistes tourna son bel esprit et le sel attique de sa conversation. Le ton inspiré de l’un contrastait d’une manière adorable avec la pesanteur de l’autre. Tout s’expliquait pour celui-li par le désir de celui-ci de demeurer inconnu, et le sculpteur, durant vingt lieues , écouta ce colloque burlesque avec un flegme germanique.

Malgré des travers quelquefois difficiles à supporter, mon ami Badoulot a son bon côté ; il fuit la politique comme le feu , bien différent en cela d’une autre sorte d’amis des artistes , la plus adroite de toutes. Elle est composée de gens qui ont des relations assez étendues, et qui font profession de prôner la jeunesse, de vénérer les anciens et d’admirer tout le monde avec fureur. Ils sont les plus polis, les plus humbles du monde. Ce sont des jugeurs continuels, dont la critique est toujours admise, vu qu’elle est toujours favorable. Ils encouragent les arts, non pas de leur bourse , mais de leurs conseils , et il devient avéré qu’ils sont de grands aigles et de parfaits connaisseurs. L’acquisition de quelques croûtes complète cette réputation, et les voilA investis d’un nom connu de toute la France, lequel ne représente rien.

Voici maintenant leur marche : obtenir, chose aisée , une légère mission dont l’objet louche à l’histoire, à l’architecture, quesais-je ? Ils en reviennent pourvus d’un litre, et alors ils se placent très-bien entre le gouvernement (la partie payante) et les artistes dont ils sont les amis. De sorte que l’argent qui va de celui-ci k ceux-IA passe entre leurs doigts, et ils les ont gluants à l’excès.

Il se fait ainsi des fortunes , on ne sait comment ; des noms se produisent, s’enflent, s’enflent, deviennent européens, et quand on s’avise un beau jour d’ouvrir celte grande machine qui s’élève dans les airs , superbe et rebondie, on crève un ballon , il sort du vent, et l’on n’a plus même entre les mains une billevesée. Ce genre A’amides artistes est loin d’être le plus niais ; on l’a jusqu’ici trop peu observé. Comme ces bonnes gens , sous leurs airs de bonté, ont des exclusions , des haines secrètes , des préjugés , désintérêts, ils sont nuisibles aux arls, enlèvent les récompenses A ceux qui les méritent, pour en saturer leurs créatures ou les flatteurs de leurs caprices. ■Sn- une plus basse échelle, l’ami des artistes s’inféode souvent A un individu dont