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248 LA FEMME SANS NOM.

à ses voisins le Champagne ((ui mousse , (ui proposer une partie au bois , ou faire allumer à propos les bougies tic la bouillolle ; elle devine tout de suite l’homme qui lui prêtera un louis, ou qui lui permettra de s’intéresser gratis dans sa partie. Est-elle associée avec le propriétaire de la maison , ou bien se contente-t-elle d’exercer pour son propre compte ? Il est probable qu’elle fait les deux choses à la fois. Celle-ci est encore plus joueuse que courtisane. Depuis que Frascati n’existe plus, son métier est devenu très-difficile ; Arsène fera peut-être commeles joueurs sans espoir, elle se précipitera du haut d’un quatrième étage sur le pavé. Il n’est pas encore reçu que les femmes se bri’ilcnt la cervelle.

Mariette est la compagne de ces trois femmes : elle gortte alternativement les plaisirs de leur triple spécialité ; elle est bien forcée d’agir ainsi, la pauvre fille, car son amant s’est marié. Elle s’est habituée au luxe, au plaisir, a la paresse, et la voilà qui passe du cabinet particulier a la table d’hdte, de la table d’hôte ;"i la table de jeu , de la table de jeu ?i son alcôve ; Mariette a dix-neuf ans. C’est l’.'^ge heureux des femmes, c’est l’époque oii la vie est la plus belle, où l’ange gardien des jeunes filles répand sur leur tête les fleurs les plus fraîches des innocents désirs. C’est alors que l’inquiète curiosité du coeur prête a l’existence le charme d’un gracieux mystère ; on ne veut rien savoir, mais on veut tout deviner, et la pudeur, qui s’éveille, soulève au fond de l’àme tout un monde de rêves flottants, d’émotions vagues, d’aspirations indéfinies : frais papillons <pii secouent longtemps leurs ailes avant de trouver cette fleur divine sur laquelle ils doivent se poser, et qui s’appelle l’amour ! Sainte ignorance, qui faites battre le sein des enfants, et qui faites passer sur la joue des jeunes filles tantôt l’incarnat de la rose, tantôt la blancheur des lis, Mariette vous avait perdue sans avoir goôté vos ineffables douceurs, et sans avoir compensé cette perte par la science de la vie. Elle était tout simplement une femme galante, c’est-à-dire une créature n’ayant ni la conscience de la veille, ni celle du lendemain ; vivant dans cette espèce d’ivresse que donnent le luxe, les plaisirs, et par-dessus tout l’incessante flatterie de l’homme auquel la civilisation fait un devoir d’acheter la satisfaction de ses sens au prix d’un éternel mensonge.

A dix-neuf ans elle n’avait plus rien à connaître : elle avait brôlé l’éclat de ses beaux yeux aux reflets des rampes de tous les théâtres, laissé les lambeaux de sa voix aux chansons de cent orgies ; elle ne complaît plus les baisers, et ignorait le nombre de ses amants ; elle usait de toutes les jouissances sans les éprouver : voilA le sort de toutes ces femmes que nous voyons autour de nous, et que nous aimons même quelquefois. II y a quelque chose au monde de plus affreux que la malière brute, c’est la matière qui usurpe la gr ;Ue , c’est celte affreuse confusion de lout ce qu’il y a de plus noble avec ce qu’il y a de plus dégradé que l’on retrouve A un si haut degré dans la femme galante. Pour elles , il n’y a plus non-seulement ni bonheur ni vice, mais encore ni beaulé ni laideur. Apollon et Esope ne leur représentent qu’une certaine quantité d’or, et cependant elles ne sont point avares : cet or, elles le dépensent comme elles l’ont gagné, sans savoir comment. On leur pardonnerai !

si on pouvait leur trouver un vice : ces femmes-la ne personnifient fpi’uue 

chose, le néani !