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LA FEMME SANS NOM. 247

dela rueTiquelonne, unecoinnioile, un lit, un canapt’ fanO, et quatre lithographies coloriées représentant l’Kuroix ;, l’Asie, l’Afrique et l’Amérique. Mariette se mit alors à pleurer ; elle voulut encore aller rejoindre sa mère. Heureusement, le i)bilanthropc avait un coquin de neveu, prédestiné, comme tous les neveux, A enlever la maîtresse de son oncle. Arthur vit Mariette ; il l’aima, la conduisit rue Notrc-Damc-de-Lorette, et lui meubla un appartement somptueux, le tout avec des lettres de change payables à la mort de l’onde en question. Mariette est enfin heureuse : son amant est jeune et passionné ; elle est jeune aussi, belle, riche, et enviée ; de nombreuses amies l’entourent, qui ne s’affublent plus, comme autrefois, d’une qualification nobiliaire, mais qui ont tout simplement conservé le nom de leur père, tant le métier qu’elles exercent leur semble naturel. La première, Adèle Bourgeois, est pleine d’esprit et de verve folâtre ; elle fait le calembour et chante la chanson grivoise à ravir ; elle est au courant de tout , de la littérature, des théâtres et des arts : aussi, n’est-il pas de lord spleenetique, pas de boyard désireux de se faire une idée de la gaieté française , pas d’agent de change en train de .se soustraire aux ennuis des affaires, qui ne connaisse Adèle Bourgeois : c’est l’héro’ine des parties de campagne, l’Hébé des soupers de carnaval, la Vénus des cabinets particuliers. Pour jouer un pareil rôle, il faut avoir reçu une excellente éducation. Aussi Adèle Bourgeois a-t-elle été élevée a Saint-Denis. Son père est un vieux militaire qui a acheté au prix de vingt blessures le droit de faire instruire sa fille aux frais de l’État ; Adèle a quitté Saint-Denis à dix-neuf ans. Rentrée dans la maison paternelle, une triste réalité s’est dressée devant ses yeux : son père est pauvre, c’est un soldat grossier, un- invalide grondeur, un homme qui ne comprend la vie que le sabre à la main. Adèle a pris au contact de ses compagnes des idées au-dessus de son état ; elle se croyait grande dame, il faut qu’elle redevienne grisette. Trop pauvre pour se marier, trop jolie pour rester fille, en butte aux ardeurs de la jeunesse, amoureuse du luxe, avide des plaisirs qu’elle n’a fait qu’entrevoir, c’est son imagination qui la livre au vice. L’éducation perd quelquefois une fennne, comme l’ignorance. Adèle est maintenant une courtisane femme d’esprit ; elle fait partie de l’élite de la galanterie.

La seconde , .Iulie Chaumont, a une autre spécialité : dans le jour, elle promène au milieu des rues bien fréquentées une élégance pleine de richesse et de bon goût. Pendant que son costume dément toutes les suppositions fâcheuses , son regard seul trahit la vérité par d’habiles et imperceptibles invitations ; le soir, elle s’étale aux concerts, aux avant-scènes des théâtres dans tout l’éclat d’une toilette princière. Vous la prendriez pour la femme d’un ambassadeur si un ami plus au fait que vous de la rouerie parisienne ne vous donnait son adresse tout bas. .Iulie n’a, du reste, ni intelligence, ni coeur ; elle sait qu’elle est belle, et elle ne comprend pas (ju’il y ait un autre usage de la beauté, que celui de la vendre. Julie est froide et régulière comme une statue ; elle poserait dans les ateliers, si elle ne posait dans les rues. Il n’y avait dans cette femme que l’étoffe d’un modèle ou d’une femme galante. La dernière , Arsène Drouet , un peu plus âgée que les deux autres , suit aussi une carrière bien plus épineuse. Nulle mieux qu’elle ne sait dans une table d’hôte verseï-