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250 LÀ FEMME SANS NOM.

Autrefois le monde des couilisanes ne s’ouvrait qu’A l’élite de la société : aujourd’hui toutes les classes y sont admises ; il ne faut donc pas trop s’étonner de la banalité de manières , de l’insuffisance d’esprit qui caractérisent les femmes galantes à notre époque. Dans l’antiquité, Phryné, Laïs, Aspasie, si elles avaient la corruption, possédaient au moins l’intelligence ; mais Louise , mais Athénaïs , mais Laure , mais Adèle, toute la galanterie moderne, par quel côté ne touchenl-elles pas à la matière, par quel point se rattachent-elles à l’humanité ? Est-ce par la paresse, par la gourmandise, par la luxure ? Paresseuses ! ont-elles le temps de l’être, leur travail n’est-il pas incessant, continu ? Gourmandes ! elles le sont à leurs moments perdus, et, pour ainsi dire, par distraction. Quant au dernier vice dont nous venons de parler, la physiologie a démontré depuis longtemps qu’il était chez les femmes une exception qui servait rarement de prétexte ; leurs désordres. Est-ce Dieu qui , par hasard , a voulu qu’il y eût sur la terre des âmes ainsi déshérilées , afin qu’elles pussent servir d’exemple ?

Non , ce n’est pas de Dieu que viennent les parias , mais des hommes. De tout temps il a fallu aux générations viriles des plaisirs faciles et des amours d’un instant. L’homme n’a plus soif des émotions pures, il ne s’attache qu’à ce qu’il pervertit , et il trouve une certaine joie ; maculer les fruits auxquels il veut goi’iter. Notre intelligence blasée ne se contente pas de la jouissance, si elle n’a été précédée de la corruption ; il semble que depuis la chute du premier homme nos plaisirs aient besoin d’une arrière-pensée de mal pour être complets, comme l’harmonie d’un tableau a besoin de l’ombre. Si la débauche actuelle est telle que nous venons de la dépeindre , il faut s’en prendre à la vulgaire dépravation de notre siècle : ce sont les Alcibiades qui font les Aspasies.

Il y a cependant dans ce que nous venons de dire des exceptions, et des exceptions assez nombreuses. On a vu quelquefois des fenmies réaliser une fortune considérable dans la galanterie, et s’en retirer à un certain Age, comme un négociant qui abandonne les affaires après une vie utilement et laborieusement employée ; d’autres, après avoir vécu pendant plusieurs années avec un homme, réussissent A s’en faire épouser. Ces femmes étaient cependant des courtisanes comme les autres ; sans doute , mais elles avaient de i)lus que leurs compagnes l’habileté de leur propre corruption : elles exploitaient leurs passions au lieu de se laisser exploiter par elles. Leur attention était sans cesse éveillée A se ménager une issue par laquelle il leur fût permis de rentrer de temps en temps dans la vie ordinaire. L’une devait savoir la politique , afin d’être au courant des conversations de certains vieillards chez lesquels il est de traditi(ui d’entretenir des femmes ; l’autre devait probablement donner des leçons de piano ou de dessin en ville. De cette façon , le premier amant croyait payer des conseils et enrichir une femme d’esprit ; le second s’imaginait épouser une artiste qui lui sacrifiait son avenir. L’homme se laisse facilement imposer des illusions auxquelles il obéit en aveugle. Mais combien ce résultat est difficile A obtenir par une femme ! et la plupart de celles qui forment la classe des courtisanes savent-elles seulement ce que c’est qu’une illusion ?

Mariette n’était qu’une femme galante ordinaire. Ceiieudanl , moins heureuse cpie