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LA FEMME SANS NOM. 25 1

ses compagnes que leur indifférence avait su préserver de ce malheur, elle appartenaii A tout le monde, et ; quelqu’un en même temps. Elle était la source cachée (pil fournissait aux dissipations d une de ces ci^lences mystérieuses dont le secret se perd dans la nuit des alcôves inconnues. Son or, ses meubles , .sa jursonne, étaient à la merci des caprices d’un de ces hommes dont nous tracerons aussi le (wrlrait , mauvais génies qui semblent a oir reçu des mains de la Providence la mission de rendre au vice ce qui vient du vice, et qui sont sur la terre la i)unitlon de ces malheureuses auxquelles Dieu pardonnera peut-être dans les cieux. Il n’y a que les femmes bien lancées qui aient des liaisons de ce genre. ,lugez maintenant ce que devait être Mariette, et elle n’avait que dix-neuf ans !

t)n s’use vite ù ce genre de vie ; la beauté s’en va , mais malheureusemenl les besoins restent, et, pour satisfaire à ces besoins inexorables, il n’est aucun effort qui paraisse trop difficile. Alors se présente un autre danger : on a été trompée par un vieillard , et l’on se trouve face à face avec une vieille femme. On ne fait que changer de eorru])tion : le vieillard vous déshonorait dans son propre intérêt , la vieille femme n’agit que dans l’intérêt des autres. La pourvoyeuse de la débauche prend toules les formes : elle pénètre dans les ateliers , dans les mansardes , quelrpiefois niéme sous le toit de l’épouse chaste et fidèle : c’est le Protécde linfaniic. Auprès de Mariette, la vieille feunneprit le costume d’une revendeuse ; la toilette ; depuis longtemps elle guettait cette proie, et quand elle vit l’heure et le moment propices, elle entraîna la pauvre enfant au plus profond de l’abîme. O Mariette ! liier encore on souriait quand vous passiez, pour vous saluer, aujourd’hui tout le monde va détourner la têle , et personne ne voudra vous avoir connue.

Hier, A la rigueur, Mariette s’appartenait encore ; aujourd’hui elle est ;V tout le monde. Le matin une femme douée d’un embonpoint extraordinaire l’a conduite dans un bureau où elle a donné son nom, son âge, le lieu de sa naissance. Sur ce registre où sont venues se faire inscrire des femmes de tous les pays, depuis la blonde Scandinave jusqu’A la Turque, hôtesse indolente des harems parfumés ; sur ce registre où l’on a vu quelquefois réunis le nom de deux sœurs , et , infamie inconcevable ! celui de la mère et de la fille, Mariette est pour ainsi direéerouéeà tout jamais. Elle figure sur le livre de fer de la débauche universelle ; désormais elle peut exercer en paix son industrie ; on lui a délivré sa patente.

Pour ce qui concerne l’existence nouvelle de Mariette, nous n’avons pas besoin de vous dire ce qu’elle est , vous la devinez tous ; elle vend de l’amour à tant par heure ; elle porte une robe bleu de ciel , des cheveux blonds noués en tresse et bouclés par devant ; son œil fatigué brille ; certains moments de quelques douces lueurs. Ceux qui l’ont vue dans ce temps-là nous ont assuré qu’elle était encore fort jolie. Pour nous, qui ne l’avons connue qu’au village, nous ne savons rien de positif à cet égard.

Il y a dans Paris deux cent vingt maisons , dont quelques-unes s’étalent au grand jour et se transmettent en héritage (comment des filles peuvent-elles en accepter un pareil de leur mère ?) comme une étude d’avoué ou de notaire. Dans ces maisons , de pauvres filles sont enfermées , et rien de ce qu’elles gagnent ne