Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/372

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27(î L’ELEVE Dli CONSERVATOIRE.

prc’jugé. Il suffit que Ion ik’iine de près ou de loin aux coulisses pour être considéré , frté , choyé ! les machinistes mêmes , le souffleur et les habilleuses ne sont pas exempts de la faveur publi(|ue. Le faubourg Saint -Denis et la rue du Temple les accaparent : on leur demande des détails sur ces messieurs et sur ces dames. A quelle heure se couche M. Francisque ? combien mademoiselle Théodorine met-elle de temps à revêtir son beau manleau du Manoir de Montlomier i> M. Saint-Ernest mange-t-il comme tout le monde ? Est-il vrai que dans les entr’actes mademoiselle Georges prenne des sorbets et des glaces qui lui sont servis par trois nègres en grande livrée ?

On comprend l’effet que produit mademoiselle Herminie dans ces réunions bourgeoises. Elle trône, elle rèjne. Lirs ;|u’elle veut bien lire des vers, toutes les bouches sont suspendues à la sienne ; chaque fin de tirade est accueillie par plusieurs hourras, et si les enfants effrayés se mettent ;■ ! pleurer, on les envoie coucher sans miséricorde. Mais lorsque mademoiselle Herir.inie consent à jouer une scène A’Estlicr ou de Bajazet , quelle joie ! Les parties d’écarté sont arrêtées , on fait trêve aux conversations les plus intimes, les petits chiens sont recueillis sur les genoux des grand’mamans , pour qu’il ne leur prenne plus fantaisie de se disputer avec le chat de la maison. On coupe le salon en deux... Une moitié figurera la salle, l’autre moitié le théâtre. Des chandelles placées sur des chaises remplacent la rampe. Herminie se drape dans son chftic français , et sdu interlocuteur ordinaire, M. Michonneau , donne un coup de peigne à sa perruque blonde. M. Michonneau est un ancien employé de la caisse d’amortissement , qui a passé la moitié de sa vie à l’orchestre de la Comédie-Française. 11 est fanatique d’arl lhé ;Mral,et son plus grand regret est de n’avoir jamais pu , pendant sa longue carrière , faire connaissance avec un seul artiste dramatitiue. Il était à son bureau depuis huit heures du matin jus((u’ ;1 cinq heures du soir ; puis venait le diner. Et pendant la soirée ces messieurs de la Comédie étaient sur les planches. Donc nul moyen de rapprochement pendant la semaine. Restait le dimanche ; mais M. Michonneau avait ; un degré extraordinaire la faiblesse de la pêche à la ligne, et il consacrait ses loisirs hebdomadaires ; parcourir, un frêle roseau à la main , les bords fleuris de la Marne, depuis Saint-Maur jusqu’à Petii-Brie. - Aussi voyez comme M. Michonneau, parvenu au déclin de sa vie , est fier de pouvoir se mêler aux jeux du (héàtre , et d’être appelé à donner la réplique à une jeune personne qui est l’espérance de la scène française, et qui en doit être un jour la gloire. { Style officiel de messieurs les professeurs de déclamation. )

Chut ! Herminie est en place. Elle s’agite comme la pythonisse sur san trépied. M. Michonneau vient se placer en tremblant ; côté délie ; il sera l’Antiuchus de cette nouvelle Bérénice. On veut lui donner une brochure : il répond fièrement qu’il sait par cœur tout le grand répertoire.

Le plus grand silence s’établit. Le maître de la maison lui-même fait trêve ;> la mauvaise habitude qu’il a eonlr.iclée di- ronfler dans un coin endant que ses hôtes se livrent à divers genres de divertissements. Michonneau frappe trois coups sur le plancher avec le talon de sa botte : le spectacle commence.