Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/378

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2S2 L’ELEVE DU C ONSER V A TO I UE .

Je me croirais coupable, si je n’esquissais pas la silliouelte de la harpiste. — Au Conservatoire, la harpiste est presque toujours seule île son espèce ; aussi , lorsqu’à la distribution des prix, M. le miuistre de l’intérieur recommande aux élèves une noble émulation, elle n’est pas forcée de prendre ces paroles pour elle. Une nouvelle harpiste succède tous les dix ou vingt ans a la harpiste qui se retire ; mais il est inouï que deux harpistes se soient trouvées en même temps sur les bancs de l’école. Et, comme la harpe est un instrument fort diflieile et qui exige de longues études , ordinairement la harpiste qui est entrée au Conservatoire dans la fleur de la jeunesse, en sort avec des cheveux gris et sans savoir pincer de cet instrument fatal auquel elle a voué son existence. Il est vrai qu’il lui reste une ressource pour ses vieux jours ; la harpe exige des attitudes fort gracieuses et fort artistiques, et l’ex-élève du Conservatoire peut gagner sa vie en posant dans les ateliers. Les Corinne au cap Mifscne lui sont naturellement dévolues.

La harpiste s’appelle Eloa. Elle porte une robe blanche, une ceinture bleue, qui flotte au gré des vents , et des cheveux bouclés. Son âme est pure comme l’azur d’un ciel pur, son œil erre dans l’espace, l’inspiration réside sur son front large et radieux... Elle est toujours dans les nuages, au-dessus des choses de la terre... On ne lui connaît d’autre faiblesse humaine que d’aimer la galette qui se vend "a côté du Gymnase.

Je ne sais vraiment pas pourquoi messieurs les administrateurs de l’art dramatique en France ont, dans leur haute sagesse, séparé les classes de danse des classes de chant et de déclamation ; les classes de danse ressorlissent de l’Académie royale de musique, etsont justiciables de la haute surveillance de M. Duponchcl. Je ne m’arrêterai pas "a mettre eu saillie ce qu’il peut y avoir de peu convenable à jeter déjeunes enfants dans toutes les agitations de la vie de coulisses ; il serait hors de saison de prendre ici la grosse voix d’un moraliste. Je dirai sulement qu’il eût été raisonnable de réunir sous le même toit, sous la même main, sous la même direction, les trois branches de l’éducation scéuique ; on y eût gagné en progrès et surtout en ensemble. Je veux réunir ce que messieurs les administrateurs ont séparé ; et pour achever le tableau, je dirai quelques mots de mesilemoiselles les élèves de la classe de danse. Ce ne sont plus ici les mêmes physionomies, ce n’est plus la même nation. Vous avez entendu parler de cette colonie de jeunes et jolies femmes qui peuple certains quartiers de la Chaussée d’Antin. Par une belle soirée d’été, toutes les fenêtres de la rue olre-Damc-de-Loretle, de la rue de Bréda, delà rue de Navarin , de toutes ces rues élésjantes que l’industrie des entrepreneurs vient de jeter comme par enchantement sur la colline Saint-Georges, s’ouvrent avec mystère , et se garnissent de rallie jolis visages, de mille bouches souriantes, de mille tailles divines, de mille regards bleus, noirs, verts, bruns ; le vent se joue dans les longues boucles des chevelures, et de jolies petites mains blanches se dessinent coquettement sur le fond grisâtre des jalousies entre-bâillées. Au premier coup d’œll , on s’imaginerait, pour peu que l’on ait l’imagination poétique, avoir découvert tout ’a coup des échappées inconnues sur le paradis de Mahouicl.

Parmi ces houris, les unes sont choristes des théâtres de vaudeville, les antres.


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