Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/416

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.-,12 L’AMIi MECONNU li.

crête, ou de la Gaietle des Tribunaux. L’àme uiéconiuie est iiulifféremment fille, femme ou veuve.

Mais quel que soit celui de ces états auquel elle appartienne, il y a toujours, dans son passé, un, souvent deux, quelquefois quatre ou cinq de ces grands malheurs qui pèsent sur son existence.

A l’état de fille, l’àme méconnne est le cliàtiment des vieux célibataires qui ont été libertins. Quand l’âge a usé leurs forces, trop vieux pour trouver un refuge assuré dans le mariage, ils demandent du moins le repos à une association où ils mettront la fortune et où elle apportera les soins. Leur vieille expérience croit avoir trouvé une compagne convenable en choisissant une fille jikis que mûre, mais dont la modestie languissante a encore un certain attrait : ils savent ce qui en est de ses retours plaintifs sur le passé. Mais eux, dont la vie s’est passée à faire faillir les plus pures et les plus jeunes consciences, ne pensent pas devoir se montrer trop sévères pour des fautes dont ils auraient pu être les complices. Ils s’imaginent follement que ces pauvres filles vieillies ne demandent qu’a se reposer de leurs malheurs comme eux de leurs plaisirs, et sur la foi d’une résignation admirablement jouée ils leur ouvrent leur maison.

A partir de ce jour commence entre le vieillard cacochyme et la fille valide uue lulte où le misérable subira toutes les tortures avant de succomber. Et d’abord, avec une persévérance et une effronterie que rien ne peut troubler, elle insinue peu ’a peu que sa vie a été pure comme celle d’une vestale et que la calonmie seule l’a flétrie. Le vieux bonhomme, qui n’a plus même la force de discuter, la laisse dire et lui accorde cette satisfaction ; car elle est prévenante, bonne, empressée. Peu "a peu la vertu angélique de la sainte personne devient un fait établi, mcontestable, reconnu par tout le monde, même par quelques amis qui ne veulent pas contrarier un pauvre fou. Alors les soins, sans cesser d’être empressés, deviennent impérieux, on règle la vie du vieux libertin. Peut-on refuser cet empire à la femme qui a si bien réglé la sienne ! Bientôt ces soins toujours offerts sont cependant marchandés, les exigences paraissent, le vieillard cède une fois, deux ; mais enfin un jour arrive où il tente une observation ; alors l’àme méconnue éclate, comme ce cactus fantastique qui s’épanouit en une seconde avec un bruit pareil à celui d’un coup de canon : « Un noble cœur qui s’est sacrifié "a un pieux devoir et qui n’en recueille qu’ingratitude. Ah I sa vie a commencé par le malheur et elle doit Unir de même. » Que si le vieillard trop irascible veut discuter ces prétendues infortunes, c’est alors que l’àme méconnue triomphe, n Ce n’est pas ainsi qu’il parlait naguère : il appréciait alors cette àme candide et hère qui s’était donnée "a lui ; ou plutôt elle s’était trompée, il n’avait jamais compiis quel trésor de vertu Dieu avait placé près de lui. Eh ! comment en pouvait-il être autrement, lui qui n’a jamais vécu qu’avec (les femmes de mœurs perdues, qu’avec des malheureuses dont elle rougirait de prononcer le nom. » Que si le vieillard, blessé dans son orgueil, veut défendre quel-" ques-uns de ses bons souvenirs d’autrefois et réplique, alors , oh ! alors, elle se tait ; et c’est une dignité froide, implacable, silencieuse, un abandon fermement calculé ipii répondcQt pour elle.