Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/440

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moins son opinion. Quant à nons, lions pcisislons à considérer la femme de ménage romme un serviteur fidèle et dévoué ; nous déclarons ici qu’à part quelques exceptions lieurensenient fort rares, elle n’a pas son pareil poui’ épousseter proprement un habit, brossernn pantalon ou faire a un vêtement quelconque une reprise iniperreplihle ; c’est que la femme de ménaf^e étend sa sollicitude et son affection jns- (pi’anx objets inanimés, c’est que dans la tendresse de son cœur elle enveloppe du même amour et du même culte l’Iiorame qu’elle sert, et les choses de cet homme. C’est que pour la femme de ménage il y a peut-être quelque chose au-dessus du célibataire lui-même ; c’est le ménage du célil)ataire.

Aussi voyez de quelles précautions elle entoure le moindre meuble, avec quelle sorte de respect elle y touche ; elle seule possède parfaitement le secret de la conservation des antiques : une main moins légère et moins attentive aurait déjà vingt fois fait voler en poussière tout ce mobilier sexagénaire, qui semble rajeunir chaque jour sous ses doigts. Mais c’est surtout dans l’entretien du vêtement que la femme de ménage est admirable. Persuadée de cette vérité, que, si l’habit ue fait pas l’homme, il le pare, la femme de ménage réserve tous ses soins les plus assidus, toutes ses plus délicates attentions pour l’habit.

Klle le brosse et le choie, elle le flatte, elle le caresse, elle le fait l)eau, elle se complaît dans son ouvrage, elle aime à faire disparaître une déchirure anticipée ; elle panse avec un soin extrême les nombreuses blessures que l’usage et le temps lui ont faites. Elle seule a le (aient de rendre aux coutures blanchies leur première fraîcheur, car les habits de l’homme blanchissent, hélas ! encore plus proraptemenl que ses cheveux ; puis, lorsqu’elle a achevé la toilette de l’habit comme celle des meubles, lorsqu’il ne reste plus une seule tache à faire disparaître, un seul coup de balai à donner, la femme de ménage replace tranquillement son ûchu sur ses épaules, elle quitte le tablier de cuisine, rempart obligé derrière lequel se dérobe la propreté de sa mise, pour voler à de nouveaux travaux, à de nouveaux succès. Quand la ferume de ménage a achevé sa ronde quotidienne, elle rentre chez elle vers le soir, et après avoir consacré sa journée aux autres, elle se dilate à son aise dans toute sa liberté. Son quart d’heure de joie sonne à l’instant où elle met le pied dans sa mansarde ; les folles expansions de Minette lui rappellent les jours heureux et lointains de son adolescence ; et tout en vaquant aux soins de son ménage, du sien celte fois, elle aime à se bercer dans un monde fantastique d’illusions et de rêves. C’est sans doute pour la femme de ménage que ce proverbe « Comme on fait son lit onsecouche » a été inventé ; car la femme de ménage ne fait son lit que le soir ; c’est là un des signes distinctifs de sa profession. Au bout d’un certain temps, la femme de ménage vieille et retirée des affaires sollicite une place de gardeuse de chaises à l’église paroissiale de son quartier, caria femme de ménage devient infailliblement dévote sur ses vieux jours ; ou bien, si elle se refuse à cette consolation, elle meurt silencieusement dans une misèie fioide et voilée, car l’hospice lui fait peur, et cette femme qui a passé tonte sa vie à faire le ménage des autres n’a pas eu le temps de songer au sien.

Charles Rouget.