Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/460

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548 I A FRl ITIERE.

nemcnlun liomme qui va et vient d’un air effaré au milieu des lésumes, marchant sur les uns, culbutai ! tlesau très et ne sachant où trou ver ceux qu’on lui demande : c’est le mari devenu fruili’ere , tandis que sa femme malade s’inquiète et se tourmente, et souffre moins de son mal que de la contrariété d’être retenue dans son lil. A cette nouvelle, le quarlier s’attriste et s’émeut : la rue n’est point jonchée de paille pour amortir le bruit des passants, effort impuissant de la richesse contre la douleur, vaine précaution que dissipe le pied des chevaux et qu’emportent les roues des voitures ; mais les voisines, mais les bonnes amies, mais les commères de la brave femme se pressent en foule à sa porte. Elles accablent de leurs questions, elles étourdissent de leurs conseils le malheureux mari qui ne sait’a laquelle entendre. Toutes lui recommandent une recette différente , une recette infaillible dont la vertu est souveraine et qui ne peut manquer de guérir la malade : c’est un bruit, une confusion , un mélange bizarre de paroles, jusqu’il ce que la troupe bruyante , cessant de s’entendre , baisse subitement la voix cl se taise tout à coup , pour recommencer quelques instants plus tard.

Le jour où la fitiitière est rendue ii ses pratiques est un jour de fatigue et de joie. Il lui faut dire-elle même et raconter de point en point , bien que son mari l’ait laconlée cent fois, toute l’histoire de sa maladie. L’auditoire. en cornette, debout et le panier au bras , écoule avidement , et fait sur les moindies circonstances de longs et savants commentaires. La /-’acu/zé elle-même en serait a bon droit étonnée. On apprend alors quelle est la voisine dont la recette a été suivie de préférence. Approchez-vous, prenez votre part du spectacle. Uegaidez cette mortelle extraordinaire, contemplez son visage , étudiez ses traits pendant (|u’elle se laisse complaisarament admirer. Tous les yeux sont fixés sur elle ; on l’envie, on lui en voudrait presque de son succès. VolKa une réputation faite, voiTa une femme dont on parlera dans le quartier , et qu’on viendra consulter de toutes les rues avoisinantes. Désormais sa clientèle est assurée. Elle jouit déj’a de sa célébrité : elle triomphe, elle est heureuse.

— C’est elle qui a guéri la fruitière !

Avertie par cet accident, celle-ci prend enfin le parti de vendre sa boutique, et elle abandonne lequartier qu’elle aima si longtemps. Une autre succède à sa popularité et à son importance. C’est un grand événement dans la rue. Mais quoi 1 tout s’oublie. Peu a peu on parle moins de l’ancienne fruitière, suivant l’usage de ce monde inconslant qui ne sait pas se souvenir de ceux qu’il ne voit plus. Elle disparaît ; elle se retire aux extrémités de Paris, et s’enferme dans un petit enclos (lu’elle sème et qu’elle airose, où elle s’entoure de fleurs, où elle cultive, sans les vendie, ces légumes bien-aimés qu’elle vendit pendant tant d’années sans les cultiver. Elle reste fidèle a ses goûts et "a ses habitudes, et jusqu’au bout elle est, du moins a l’endroit du chou , comme ces honnêtes lapins de Boileau Qui , dés leur tendre enfance élevés dans Paris ,

Sentaient eucor le chou dont ils furent nourris.

François Coquilli :.