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564 LA REVENDEUSE A LA lOILETTi :.

sorte de tolérance anonyme. Son intérieur est simple et a même un certain cachet de dissimulation. On n’y remarque que des armoires ; on devine qu’elle ne vit et n’agit qu’au dehors. Ordinairement elle est ’a la tête de plusieurs noms, dont elle change comme ses clientes de chapeaux.

Quant "a son signalement physique, il est simple et fort répandu dans la circulalion parisienne.

Représentez-vous une grosse et large commère entre quarante etcinquante ans, un nez barbouillé de tabac avec un tablier noir a poche, un tartan qui lui lèche les talons, une robe en taffetas puce, un chapeau de paille h gouttières, sensiblement incliné vers l’oreille, un carton de bois au poignet, l’autre poignet sur la hanche, un faux tour défrisé quipleuresur unede ses paupières, une montie d’or ’a 1 estomac, des perles eu poire aux oreilles, des bagues a toutes les jointures, une bouche en cœur, des yeux louches, des dents larges comme des dominos, et des socques articulées ; — c’est elle. Elle parle tous les patois, mais surtout ceux du midi ; elle décore en première ligne cette classe d’industriels aux bénélices cachés , aux manœuvres inconnues , les prêteurs sur gages, les bijoutiers ambulants, les tailleurs [du Havre ou de Haïti qui troquent le vieux drap contre le drap neuf, les racheleurs de reconnaissances du Monl-de-Piété, négociants souterrains et rusés qui laissent quelquefois a leurs héritiers un million de fortune en monnaie de Monaco et en billets prolestés. Certes, si l’on voulait prendre les choses sous un certain point de vue , on pourrait adresser de grands reproches "a ce genre d’industrie, coupable à la fois par son origine et les menées qu’elle emploie dans son exécution. Nous devrions peut-être rembruuir un peu le fond du tableau, pour indiquer dans le lointain certaines figures de femme avilies et perdues par le vice, avec l’indélébile cachet de la honte et du déscs[)oir au front. Il est certain que plus d’une iunocence a trébuché "a ce piège de dentelles et de rubans placé sans cesse sous ses pas. Ces commerçantes sont après tout des conseillères sataniqucs et infatigables qui agissent impitoyablement sur les parties faibles de la nature de la femme , la vanité et le désir de briller ; elles l’enlacent, l’enveloppent dans leur irrésistible lilct, et la prennent chaque jour a de nouveaux hameçons. C est eu général par cette pente de cachemires usuraires, de dentelles et de parures, qu’une femme se trouve insensiblement poussée vers ce dernier pied "a terre du vice et de la tristesse , qui devrait avoir "a la fois pour fondatrice et pour porlièie la plus considérable et la plus enrichie de toutes les Revendeuses ii la toilette, je veux parler de l’hôpital.

Mais que voulez-vous ? jusqu’il nouvel ordre, les mœurs françaises glisseront et voltigeront sur l’épiderme des glandes questions ; nous avons des philosophes moraux et des socialistes , nous ai)plaudissons à leurs justes récriminations, mais nous ne nous empressons guère de souscrire "a leurs réformes. C’est pourquoi, avant d’être un grand abus, un scandale avéré, une grave immoralité sociale, la Revendeuse a la toilette n’est et ne sera longtemps encore sans doute pour le public , c’est-"a-dire pour les gens qui ne lui ont jamais souscrit de billets, que ce qu’elle était du temps (le Lesage et de Regnard, un personnage de comédie.

Arnould Frëmy.