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57’. LE SPECULATEUR.

hausse et une baisse à la Bourse. Enfin n’est-ce pas lui qui en est arrive a faire du commerce un assaut de supercheries , de la politique un tripotage d’écus, de la morale publi(iue une combinaison de finance, et de la société en masse une caverne de Roberts Macaires ? homme prodigieux ! salut !

Ce grand personnage commence habituellement ses opérations sans avoir ni biens ni argent : mais, en revanche, il a des dettes ; et c’est son apport social dans la mise de fonds des compagnies qu’il organise. Aussi agit-il hardiment sur des millions avec un aplomb remarquable et un gracieux entrain ; car il ne risque absolument rien... que la fortune des autres. Sa conscience et son honneur pourraient bien, il est vrai, s’y trouver un peu compiomis ; mais le spéculateur voit les choses de Irop haut pour descendre à s’occuper de semblables minuties. Les chaînes du devoir et de la morale ne sauraient entraver sa marche. Pourvu qu’il agisse de manière h être en deçà d’une possibilité de plainte en police correctionnelle, il se croit dignement placé. Tant que la cour d’assises ne se charge pas de lui offrir un siège, il s’étale, ici et là, avec le liiisser-allcr de la vertu dont la pose vise au génie. Du moment oii il ne dépasse pas, fût-ce d’une tète d’épingle, la petite ligue de démarcation qui sépare le citoyen aple à tous les emplois du citoyen que va flétrir la marque, il se promène tête haute, il est au sentier de l’honneur. Regardez-le jouir en paix de la plénitude de ses droits : il n’est pas une dignité "a laquelle il ne puisse prétendre. H sera, au gré de son caprice, juré, mouchard, garde national, recors, diplomate, sergent de ville, ministre, énieutier, cabotin ; et, fondant au besoin toutes ces natures dans la sienne, il marchera l’égal d’un monarque.

bienfait de la civilisation ! le spéculateur, à la recherche de sa proie, se jetant hardiment au milieu des labyrinthes do répo(iuc et du pays, n’a besoin, lui, pour y vaincre et s’y retrouver, ni du glaive de Thésée ni du Ul d’Ariane. Il n’attaque ni ne tue les miuotaures qu’il y rencontre ; il leur propose tout uniment des rentes lin de mois avec des reports et des primes ; il les fascine avec le miroir h facettes des découvertes fantastiques ; il les gave avec des boulettes d’actions industrielles ; et les monstres doraplés, séduits, subtilisés, ébahis, apposant vite leur griffe au bas de quelque chose de timbré, se hâtent de lui donner, au lieu de le combattre, une poiguée de mains citoyenne, ’a la façon des potentats parlementaires et constitutionnels qui débutent dans la carrière.

La haute figure ici peinte pourrait se diviser, a un certain point, en deux êtres divers et distincts : le mystificateur et le mystifié. Mais le spéculateur vérilablemcnt digne de ce nom, le beau idéal de l’espèce, a le double avantage d’offrir à la fois les deux types réunis. Tour ’a (our dupcur et dupé, il est joué par ceux qu’il joue. Ce soir vendeur, demain vendu, il fait des fourberies, marchandise ; et des déloyautés, négoce. C’est un commerce qui prospère.

Le spéculateur en bonne veine se met "a merveille ; il vous fait remarquer l’admirable étoffe de son pantalon et le charmant tissu de son gilet. Ce sont de nouvelles inventions dont il sollicite le brevet. Le besoin se faisait géiicralemenl sentir dme amélioration dans l’industrie de la toilette : il a Pa-dessus de vastes données où accourront les capitaux, car les déboursés seront minimes, et le gain sera gigantesque-