DICOURS
PRÉLIMINAIRE.
UN sage de la Chine a dit, « Si tu composes quelque ouvrage, ne le montre qu’à tes amis, crains le public & tes confrères ; car on falsifiera, on empoisonnera ce que tu auras fait. La calomnie, qui a cent trompettes, les fera sonner pour te perdre, tandis que la vérité, qui est muette, restera auprès de toi.
La sagesse de ce conseil & l’expérience que j’en ai fait moi-même, en voyant la subtilité avec laquelle cette calomnie, depuis mes disgrâces, a versé son poison sur mes ouvrages & sur ma personne, seroient très capables de m’intimider, si mon cœur connoissoit les sentimens de la crainte : mais le ciel m’a heureusement doué d’une portion de cet esprit mâle qui devoit m’être nécessaire.
Dès ma jeunesse j’ai été un enfant de calamités, mais j’ai combattu le sort qui m’attaquoit ; & si je m’en fuis rendu vainqueur, en foulant aux pieds les traits qu’il me lançoit, c’est le travail qui m’en a donné la force. Toute ma vie a été une occupation continuée, dans laquelle je cherchois moins les moyens de fonder ma fortune particulière, que