CHAPITRE VIII
La véracité de Marco Polo
Le livre de Marco Polo trouva tout de suite un public nombreux. Il l’avait dicté en français, le français étant alors la langue internationale. C’était l’époque où la race française, dans sa merveilleuse expansion, semblait sur le point de dominer l’Europe entière ; où la monarchie capétienne, avec Philippe-Auguste et Philippe le Bel, redonnait pleine vigueur aux souvenirs jamais oubliés de l’empire carolingien ; où le légiste Pierre du Bois trouvait naturel qu’un seul roi régnât sur la chrétienté, pourvu que son pouvoir reposât sur la justice. Emporté par son ardeur gibeline, Dante s’indignait contre la lignée des Philippe et des Louis, « arbre funeste dont les rameaux recouvraient le monde ». L’âpre poète refusait de se servir du français et créait une langue pour son génie. Mais il restait d’abord sans imitateur, comme il avait été sans modèle. À l’heure même où il terrifiait les hommes par ses fantastiques visions d’un monde surnaturel, Marco Polo, qui les instruisait et les charmait par ses réels voyages à travers la Chine, demeurait fidèle à la tradition littéraire de l’époque et écrivait en français, dans le langage qu’on s’accordait alors à proclamer le plus délectable entre les langages humains.