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CONTES ORIENTAUX

même piège, le cerf, au lieu de la secourir, l’avait abandonnée.

Farrukhnaz, à son réveil, fut frappée de ce songe. Elle ne le regarda point comme une illusion de fantaisie agitée. Elle crut que le grand Kesaya[1] s’intéressait à sa destinée, et qu’il avait voulu par ces images lui faire comprendre que tous les hommes étaient des traîtres qui ne pouvaient payer que d’ingratitude la tendresse des femmes.

Prévenue de cette étrange opinion, et dans la crainte d’être sacrifiée à quelqu’un des princes dont les ambassadeurs devaient incessamment arriver, elle alla trouver le roi son père. Sans lui dire qu’elle fût révoltée contre les hommes, elle le conjura les larmes aux yeux de ne la point marier malgré elle. Ses pleurs attendrirent Togrul-Bey. « Non, ma fille, lui dit-il, je ne contraindrai point vos inclinations. Bien qu’on dispose ordinairement de vos pareilles sans les consulter, je jure par Kesaya qu’aucun prince, fût-ce l’héritier même du sultan des Indes, ne vous épousera jamais si vous n’y consentez. » La princesse, rassurée par ce serment, dont elle connaissait la force, se retira très satisfaite, et bien résolue de refuser son aveu à tous les princes qui la rechercheraient.

Peu de jours après, il arriva des ambassadeurs de plusieurs cours différentes. Ils eurent audience tour à tour. Chacun vanta l’alliance de son maître, et le mérite du prince qu’il venait proposer. Le roi leur fit à tous beaucoup d’honnêtetés ; mais il leur déclara que sa fille était maîtresse de sa main, parce qu’il avait juré par Kesaya qu’il ne la livrerait point

  1. Idole adorée autrefois à Cachemire.