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LES MILLE ET UN JOURS

contre son penchant. Ainsi la princesse ne voulant se donner à personne, les ambassadeurs s’en retournèrent fort confus de n’avoir pas réussi dans leur ambassade.

Le sage Togrul-Bey vit leur départ avec douleur. Il craignit que leurs maîtres, irrités de ses refus, ne songeassent à s’en venger ; et fâché d’avoir fait un serment qui pouvait lui attirer une cruelle guerre, il fit venir la nourrice de Farrukhnaz : « Sutlumemé (gorge de lait), lui dit-il, je vous avoue que la conduite de la princesse m’étonne. Qui peut causer la répugnance qu’elle a pour le mariage ? parlez, n’est-ce point vous qui la lui avez inspirée ? — Non, seigneur, répondit la nourrice ; je ne suis point ennemie des hommes, et cette répugnance est l’effet d’un songe. — D’un songe ! s’écria le roi fort surpris. Ah ! que m’apprenez-vous ? Non, non, ajouta-t-il un moment après, je ne puis croire ce que vous me dites. Quel songe pourrait avoir fait sur ma fille une si forte impression ? » Sutlumemé le lui raconta, et après lui en avoir dit toutes les circonstances : « Voilà, seigneur, continua-t-elle, voilà le songe dont la princesse a l’imagination frappée. Elle juge des hommes par ce cerf, et persuadée que ce sont tous des ingrats et des perfides, elle rejette également tous les partis qui se présentent. »

Ce discours augmenta l’étonnement du roi, qui ne concevait pas comment ce songe pouvait avoir mis la princesse dans la disposition où elle était. « Eh bien, ma chère Sutlumemé, dit-il à la nourrice, que ferons-nous pour détruire les défiances dont l’esprit de ma fille s’est armé contre les hommes ? Croyez-vous que nous puissions la ramener à la raison ? — Seigneur, répondit-elle, si votre majesté veut bien me charger de ce soin-là je ne désespère pas de m’en acquitter