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CONTES ORIENTAUX

usage depuis trois ans pour me détruire. Mais je me tiens si bien sur mes gardes, que leur malice a été inutile jusqu’ici. Ce n’est pas que je sois contente de mon sort ; car je ne puis aimer le sultan, et je ne suis point assez ambitieuse pour être éblouie des honneurs qu’on me rend. Je suis seulement piquée de tous les efforts que mes rivales font pour me perdre, et je veux qu’elles en aient le démenti. Vous devez pardonner cela à une femme.

Leurs chagrins, poursuivit-elle, me font donc plus de plaisir que l’amour du sultan. Il faut pourtant avouer que ce prince est aimable ; mais soit qu’il ne dépende pas de nous d’aimer, soit que la conquête de mon cœur vous fut réservée, vous êtes le premier homme qui se soit attiré mes regards. »

Pour répondre à un aveu si obligeant, et qui me semblait augmenter le prix de ma bonne fortune, je promis à la jeune dame un amour immortel, et je la pressai de ne pas différer plus longtemps mon bonheur. Mes discours passionnés l’attendrirent : mais la fortune se plaît à présenter aux malheureux des espérances trompeuses, et mon astre ennemi n’avait pas encore répandu sur moi toute sa mauvaise influence. Dans le moment que la belle Dardané, rendue aux pressantes instances de ma tendresse, allait combler mes désirs, on vint frapper à la porte de la chambre assez rudement. Nous en fûmes effrayés l’un et l’autre. « Ô ciel ! me dit la dame tout bas, on m’a trahie ! nous sommes perdus ! c’est le sultan lui-même ! »

Si la corde dont je m’étais servi pour monter eût été attachée à une fenêtre de la chambre où nous étions, j’aurais pu facilement me sauver, mais elle était à une fenêtre de la chambre même où se trouvait alors le sultan. De sorte que prenant le seul parti qui me