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CONTES ORIENTAUX

Un jour que je présentais des fleurs comme à l’ordinaire chez le marchand de fiquaa, il y avait dans un coin de la salle un vieillard auquel je ne prenais pas garde, et qui, voyant que je ne m’adressais point à lui, m’appela : « Mon ami, me dit-il, d’où vient que tu ne m’offres pas ta marchandise aussi bien qu’aux autres ? Ne me comptes-tu point parmi les honnêtes gens, ou t’imagines-tu que je n’ai rien dans ma bourse ? — Seigneur, lui répondis-je, je vous prie de m’excuser. Je ne vous voyais pas, je vous assure. Tout ce que j’ai est à votre service, et je ne vous demande rien. » En même temps je lui présentai ma corbeille. Il prit une pomme de senteur, et me dit de m’asseoir près de lui ; je m’assis. Il me fit mille questions ; il me demanda qui j’étais, et comment on me nommait. « Dispensez-moi, lui dis-je en soupirant, de contenter votre curiosité. Je ne puis la satisfaire sans rouvrir des blessures que le temps commence à fermer. » Ces paroles ou plutôt le ton dont je les prononçai, empêcha le vieillard de me presser là-dessus. Il changea de discours ; et, après un long entretien, s’étant levé pour s’en aller, il tira de sa bourse dix soquins d’or qu’il me remit entre les mains.

Je fus fort surpris de cette libéralité. Les plus considérables seigneurs à qui j’avais coutume de présenter ma corbeille ne me donnaient pas même un sequin, et je ne savais ce que je devais penser de cet homme-là. Je retournai le lendemain chez le marchand de fiquaa, et j’y trouvai encore mon vieillard. Il ne fut pas ce jour-là des derniers à s’attirer mon attention. Je m’adressai d’abord à lui ; il prit un peu de baume, et m’ayant encore fait asseoir auprès de lui, il me pressa si vivement de lui raconter mon histoire que je pus m’en défendre.