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CONTES ORIENTAUX

vizir à la place d’honneur, et il le comblait d’honnêtetés sans avoir le moindre soupçon de sa perfidie. Pendant qu’ils étaient tous à table et qu’ils buvaient d’excellents vins, le traître Aboulfatah eut l’adresse de jeter dans la coupe du fils d’Abdelaziz, sans que personne s’en aperçut, une poudre qui ôtait tout à coup le sentiment. Un corps tombait en léthargie et ressemblait à un cadavre déjà privé du jour depuis longtemps.

Le jeune homme n’eut pas porté la coupe à ses lèvres qu’il lui prit une faiblesse. Ses domestiques s’avancèrent pour le soutenir ; mais bientôt, voyant en lui toutes les marques d’un homme mort, ils le couchèrent sur un sofa et commencèrent à pousser des cris effroyables. Tous les convives, frappés d’une terreur soudaine, demeurèrent saisis d’étonnement. Pour Aboulfatah, on ne saurait dire jusqu’à quel point il porta la dissimulation. Il ne se contenta pas de feindre une douleur immodérée ; il se mit à déchirer ses habits et à exciter par son exemple tous les autres à s’affliger. Il ordonna ensuite qu’on fit un cercueil d’ivoire et d’ébène ; et tandis qu’on y travaillait, il s’empara de tous les effets d’Aboulcasem, et les mit en séquestre dans le palais du roi.

Cependant le bruit de la mort du jeune homme se répandit dans la ville. Toutes les personnes de l’un et de l’autre sexe prirent le deuil et se répandirent à la porte de son hôtel, la tête et les pieds nus. Les vieillards et les jeunes gens, les femmes et les filles fondaient en pleurs. Ils faisaient retentir l’air de plaintes et de lamentations. On eût dit que les uns perdaient en lui un fils unique, les autres un frère, et les autres un mari tendrement aimé. Les riches et les pauvres étaient également touchés de sa mort.