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Sous le pont Caulaincourt, défilent en habits de deuil, les parentales coutumières. Des veuves inconsolables portent mains faisceaux d’anthémis, et, tout-à-fait congruentes, des ravenelles jaunes aux défunts que, jadis, elles élevèrent à la dignité de cocus. Sur la butte de la Roquette on visite Pierre Esbailard de Sainct-Denis, du nombre des hommes retranché quelques années avant sa fin, et le saule de Musset, lyrique chemisier, et le tumulus de Rossini, impérissable auteur du tournedos au foie gras.

Le soleil découpe en noir, sur les allées funéraires, la feuille en triangle des platanes et des sycomores. Des taches d’or illuminent la pierre grise des tombes. Les roses des parterres, les baies sanglantes des ifs, les branches des futaies, rousses, jaune pâle, couronnent d’un bouquet somptueux et mélancolique les riantes nécropoles où les hommes d’autrefois se reposent d’avoir été. La promenade annuelle de leurs héritiers semble plutôt joviale. Tout le long de l’avenue de Saint-Ouen, des tirs aux macarons, des chevaux de bois prolongent la fête de Montmartre. Cela fleure les pommes de terre frites dans la graisse de cheval plus que l’encens des funérailles. Aux terrasses des manezingues, les familles, au grand complet, hommes redingotes de noir, femmes chapeautées aux Quatre François et leur progéniture fouillant son nez avec un doigt têtu, se réjouissent de litres à seize, de charcuterie dans du papier. On entend les orgues de barbarie qui en guise de thrènes et de lamentations rabotent la polka des Anglais ou la Valse des Bas noirs.

Les christicoles ont inverti l’ordre logique des fêtes qui, avec le mois de novembre, inaugurent le froid, l’obscur hiver. Il fallait célébrer le commun des trépassés avant de canoniser leurs vertus. Les divers Panthéons, d’Agrippa, d’Hadrien, que Boniface IV infecta de christianisme ; celui de Sigismond Malatesta dans Rimini ; Wesminster

L’ombre de Pope auprès des rois repose
(De son vivant il fut persécuté) ;

Saint-Pierre de Rome lui-même ne s’ouvrent qu’aux génies. Mais le catholicisme actuel, comme le paganisme à son déclin déifie tous les trépassés pour une redevance minime. Diis manibus ! C’est l’omnibus du Panthéon. Depuis les mânes, brucolaques, lémures, fantômes et loups-garous de l’antiquité classique ; depuis les Kabires phéniciens de Samothrace, Kasmilos, Samandraodt, Axioxerxès, implantés dans le monde celto-latin par les prêtresses nues et barbouillées de noir (la Carmenta de Renan) qui vaticinaient dans l’Île magique de Seina, les Ombres sont en possession d’inquiéter le monde sublunaire. De nos