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jours, les esprits frappeurs ont remplacé l’antique apparition du Freytchutz drapé dans un linceul et promenant, sous une lumière verdâtre,

Le sourire éternel de ses trente-deux dents.

On peut se les procurer avec le gaz et l’eau à tous les étages. Guaita en gardait un dans certain placard destiné aux vieilles bottes et aux litres étanchés. Cela n’est pas d’ailleurs autrement stupide que la croyance aux miracles de Lourdes ou à la Transubstantiation.

Pas plus que les théologiens, les habitants de Paris ne distinguent les fêtes mortuaires. Ils ne distinguent plus aucune fête. L’enterrement de Victor Hugo, le pesage d’Auteuil où les chiens de l’Œillet Blanc lèvent leur patte de roquets, les funérailles de Carnot, son apothéose, l’alliance russe, le banquet des maires, la foire de Saint-Cloud et les prédicateurs en vogue, lui sont tout un. « On nous ruine en fêtes ». Mais qu’importe ! La question pour le « civilisé » moderne est de benoîtonner hors de chez soi. Les cimetières du 2 novembre sont un spectacle gratuit plus accessible que les exécutions capitales, une des formes de la rigolade nationale à quoi se complaît le contribuable français. La France du XXe siècle est en posture d’aller, chaque jour, au café. Ce n’est plus une nation ; c’est un cortège, un monôme, une inlassable panathénée de la muflerie. La République troisième, comme la reine de Chypre, reçoit l’univers dans un casino.

L’automne aussi règne à l’Exposition des Chrysantèmes. Fleuris de douleur et de rêve, comme un songe d’opium avec leurs teintes fauves, luxueuses, magnifiques et, pour ainsi dire, faisandées, ce sont les femmes de quarante ans de l’horticulture. Les grenats, les violets sombres ou mortifiés, d’une pâleur morbide, les blancs trop blancs de chlorose ou de phtisie, les verts cadavéreux qui semblent peints avec du fard, les rouges presque noirs de sang qui ne vit plus, blasonnent leurs touffes d’un deuil sinistre, bizarre et véhément. Leurs formes, plumes ébouriffées d’oiseaux malades, échevêlement d’une pyrotechnie florale, d’un feu d’artifice où les soleils emperruqués de rayons dans la manière des Le Brun et des Coypel satisfont le goût bête du snobisme éduqué par des Esseintes pour l’artificiel et la laideur chantournée. Les Goncourt, cette vieille maquillée de Pierre Loti n’ont pas peu contribué à nous infecter ainsi de japonisme. Le Japon, d’après notre exemple se civi-