La Bruyère
Les Bathylles modernes
par
Émile Boissier
Antinoüs efféminés du boulevard, aux traits flétris par de clandestines luxures, visages follement dantesques de matrones vicieuses, ils errent, spectres hâves de la mode, les bras ballants, le corps penché, dandinant des hanches maladives sous les volutes indiscrètes d’un pardessus raccrocheur.
Qui ne les a rencontrés ? Ils sont de toutes les solennités, de toutes les fêtes, s’intronisent arbitres du bon goût, décrètent les suprêmes élégances, critiquent les chefs-d’œuvre auxquels ils ne comprennent rien et se font une loi de n’admirer que le baroque et l’absurde. Épris du byzantinisme des attitudes, de ce qu’ils croient être rare et déconcertant, ils affectent une préciosité de langage qui charme les imbéciles, minaudent comme de petites maîtresses, se pâment sur les sophas en imitant la voix de telle actrice en vogue, parlent de Baudelaire ou de Stéphane Mallarmé, qu’ils n’ont jamais lus, bavardent à propos de rien, unissant en une admiration collective les étoffes Liberty, les meubles de style anglais et les affiches macaroniques de M. Alphonse Mucha.
Que de bienfaits nous leur devons ! Quels services ces jeunes hommes ont rendu à l’art dont ils se veulent les prophètes !
Inféodés au snobisme contemporain, lointains imitateurs du Des Esseintes dont J.-K. Huysmans nous a conté dans À Rebours l’odyssée lamentable, ils rêvent aussi d’un luxe bizarre et cosmopolite, de tortues aux carapaces gemmées d’améthystes et de topazes, de meubles et de fauteuils dont les formes incommodes s’incurvent en spirales inélégantes. Leur fantaisie a fait naître des bijoux sans caractère, qu’ils estiment nouveaux, des bagues larges comme des bracelets, pesantes et dénuées de grâce. Ils ont toujours voulu se singulariser par des recherches ori-
